Avec ses cavalcades mâtinées d’humour et de violence, le premier long-métrage de Kim Young-hoon réunit les ingrédients du thriller coréen tel qu’on a pris l’habitude de l’identifier, et c’est justement ce qui peut inquiéter. En effet, combien de films des dernières années se sont contentés d’appliquer la recette sans parvenir à tirer leur épingle du jeu, proposant un ersatz sans relief de ce que l’on avait déjà vu ? Lucky Strike, fort heureusement, n’est pas de ceux-là, et bien qu’il n’ait pas l’envergure d’un classique, il sait se montrer convaincant et tenir le public en haleine sur toute sa durée.


Lucky Strike est, à l’origine, un roman du japonais Sone Keisuke, prenant pour trame de fond l’éclatement de la bulle économique au pays du Soleil Levant. Si la crise financière est en effet un cadre propice à l’aiguisement des avidités, on voit donc sans mal comment l’intrigue peut être transposée dans la Corée d’aujourd’hui, où un sentiment d’incertitude a déjà fait éclore il y a quelques mois les relents dystopiques de La Traque de Yoon Sung-hyun. La dette, c’est en effet le point de départ des trois histoires qui nous sont contées et qui vont, immanquablement, entraîner les personnages dans un spirale infernale. Dans une illustration quelque peu extrême de l’expression « l’occasion fait le larron », on découvre ainsi comment, pris entre le bâton d’échéances insurmontables et la carotte d’un gros sac de billets, ils seront amenés à des agissements dont ils ne se seraient sans doute pas cru capables.


Bien que leurs péripéties respectives soient, dans un premier temps, développées de manière parallèle, le spectateur se doute bien que les destins des protagonistes sont voués à s’entrecroiser. Difficile, alors, de ne pas tenter de deviner par quel rebondissement ils vont entrer en collision, et de ne pas mettre l’œuvre au défi d’un retournement de situation qui nous surprenne. Cependant, si quelques indices sont effectivement semés dans la première partie de la narration, le véritable instrument du scénario n’intervient que tardivement et vient rebattre les cartes de manière transversale, interdisant toute véritable anticipation. Est-ce là un tour de passe-passe bon marché ? On peut être tenté de le réduire à cela, mais cela semble plutôt s’inscrire dans la démarche globale de Lucky Strike, qui privilégie un déroulé efficace à des ambitions démesurées et évite de la sorte de retomber comme un soufflé.


Ainsi, loin de faire reposer tout son intérêt sur l’emboîtement des multiples pièces du puzzle, le film n’oublie pas d’être avant tout divertissant. Rythmé par un chapitrage qui en assure la cadence tout en permettant de ne pas perdre de vue les enjeux de chaque intrigue, il progresse sans temps mort vers son dénouement. Il fait également preuve d’un humour omniprésent, injecté par petites touches d’une ironie cruelle et surtout par cette direction d’acteurs dont la Corée semble avoir le secret, avec des interprètes qui savent manier l’art du cabotinage sans jamais basculer dans d’irritants excès. Il faut dire que le casting n’est pas en reste, puisqu’on y retrouve notamment Jung Woo-sung, Jeon Do-yeon, Bae Sung-woo, Youn Yuh-jung ou encore Jeong Man-sik : autant de vétérans dont les preuves ne sont plus à faire.


En définitive, la grande réussite de Lucky Strike reste avant tout de parvenir à équilibrer les arcs de ses nombreux personnages, ce que l’on doit aussi bien à la solidité des comédiens qu’à la fluidité de l’écriture et de la mise en scène. Le réalisateur et le directeur de la photographie ont su construire une ambiance distincte autour de chacun des héros, en s’appuyant sur les spécificités de leur caractère et de leur environnement. Si Tae-young, dont l’esbroufe trouve en Jung Woo-sung un interprète idéal, peut avoir tendance à prendre le devant de la scène, les aventures de Joong-man et Mi-ran ne sont pas laissées de côté pour autant, et lorsque leurs trajectoires finissent fatalement par s’entrechoquer, la confrontation de leurs desseins rend évident le soin qui a été porté à doter chacun de son tempérament propre. C’est d’ailleurs par cela que l’œuvre, en dépit de la cupidité qui en fait le cœur, maintient une forme de morale.


Plus qu’un début prometteur, c’est ainsi une œuvre accomplie que Kim Young-hoon nous offre en guise de premier long-métrage, et pour laquelle il a su s’entourer d’une équipe de choix. Si l’ensemble manque peut-être d’un coup de génie ou d’une thématique forte pour véritablement marquer l’année cinématographique, il promet à son spectateur un divertissement savamment mené qui sait jongler habilement entre les registres. En somme, nous tenons là un thriller qui tient toutes ses promesses, alors pourquoi ne pas tenter soi aussi sa chance en allant le voir ?


[Rédigé pour EasAsia.fr]

Shania_Wolf
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le 31 août 2020

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Lila Gaius

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