Un des personnages récurrents et désopilants du Monty Python’s flying circus apparait en bottes en caoutchouc et foulard sur la tête, et hurle la douleur que provoque son cerveau quand il tente de s’en servir.
Quand Lucy découvre de nouvelles sensations liées à la drogue qu’elle vient d’assimiler, en déclarant qu’elle "sent" son cerveau, l’image s’est immédiatement imposée à moi.
Mon mauvais esprit, sans doute.


Besson, encore d'un cran


Certains films nous confrontent à l'inanité d'un système de notation en général, et celui de SC en particulier.
Comment faire entrer Citizen Kane et Nude nuns with big guns dans la même grille ? Comment ramener à une même échelle un film d'auteur audacieux, un blockbuster roublard, un drame intime ou une farce potache ? Si une (plus ou moins) longue pratique d'un site comme le notre nous a habitué à ce genre de grand écart artistique et intellectuel, jusqu'à nous le rendre presque normal, Lucy surgit comme une sorte de détonateur. À l'image de son héroïne dont les limites physiques ne cessent de se heurter à un univers borné par les règles et habitudes humaines, nous voilà stupéfaits devant le vertige d'un monde nouveau, sans comparaison. 
L'idée même de note devient abstraite, surréaliste, confuse. En l’occurrence, dans une échelle de 1 à 10, comment choisir entre -3, -47, ou -765 ?
Comme dans le film, les mathématiques ne suffisent plus à rendre compte d’un réel dont tous les repères viennent d’exploser.
Ceci dit, on était prévenus: Besson écrivait un film sur l’intelligence.


Péter plus haut que son Luc


"Avant, j’étais pas assez intelligent pour écrire un film comme Lucy" a déclaré en substance, au moment de la sortie du film en France, notre faiseur de brouzoufs national, fierté d’une France qui arrive parfois à se redresser.
(avec un sens du second degré qui fout les jetons, vous en conviendrez)
De là, on ne peut se dire que deux choses:
- soit l'ami Luc était, en début de carrière, BEAUCOUP plus con qu’on ne l’imaginait. Et comme notre propre imagination peut se montrer prolixe, on ne croit guère à cette possibilité.
- soit le pote Besson peine à s’exprimer clairement (option vachement plus crédible, pour le coup): avant, il n’était pas assez intelligent pour écrire le film qu’il fantasmait. Mais pas pour celui qu’il a finalement fait.
Parce qu’une chose est certaine: pour coucher sur papier le truc abyssalement stupide auquel on assiste pendant 1h30, Besson avait très précisément l’intelligence requise. Au neurone près.


L’excellence de la filière du veau français


Qu’il est doux et rassérénant de constater que le concept de la french touch se décline dans toutes les facettes de l’exception culturelle française. A l’avenir, à chaque fois qu’on se dira que le bollockbuster américain touche un peu plus le fond, il faudra se souvenir de Lucy. Parce que la sous-couche française proposée par notre gros nounours chéri apporte une note touchante de naïveté et une sidération absolument inédite.


D’ailleurs, cette courte interview américaine apporte un éclairage cru et sans détours sur les conditions de préparation et d’exécution de ce nouveau phare de l’excellence héxagonale.
Que nous dit frère Luc, toujours prompt à propager la bonne parole ? Que l’équipe de tournage a passé son temps à le regarder de travers en se demandant bien ce qu’ils étaient train de faire. Qu’il a eu du mal à garder l’idée générale de tout ceci dans la tête. Qu’il a mis des années à consulter des professeurs (je mets des guillemets à professeurs ou bien?) pour parfaire sa théorie.
Qu’il utilise «équiliber» pour parler d’équilibre en anglais.
Et enfin qu’il a essayé de mettre deux films en un: un documentaire philosophique et un truc fun pour relaxer l’esprit.
C’est beau. C’est pur. C’est sincère.


Ah oui, il se déclare également stupéfait de pouvoir continuer à faire des films, vu que les gens continuent à aller les voir. Pour une fois, nous voici totalement sur la même longueur d'onde.


Je te dirai les maux bleus


Dans sa démesure grotesque (exécutions stupéfiantes de gratuité, inserts animaliers fulgurants, didactisme suranné du professeur, la liste est sans fin…Si vous cherchez de l'exhaustif. Lucy repousse presque toutes les limites (au delà de l’entendement ou du bon goût) au point qu’aucun mot ne suffit plus pour donner la mesure de la stupéfaction ressentie devant ce chapitre (qui risque malheureusement de ne pas être) ultime du grand roman de l’œuvre Bessonnienne. L’humour, la rage, l’incrédulité, le dégoût, le dédain, plus rien n’a véritablement de sens, tout devient inutile.
Et plutôt que de citer Audiard pour redéfinir la particularité de ceux qui osent tout, je préfère utiliser la maxime de Wolinski qui orne mon profil sur SensCritique, et qui n’aura jamais aussi bien résonné que lorsque nous découvrons, exsangue et incrédule, le générique de fin:


"Ne cherchez pas à paraître intelligent. Vous ferez ricaner ceux qui le sont plus que vous. Et vous vous ferez détester par ceux qui le sont moins"

guyness

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