Ce qu'il y a de bien quand vous traversez une mauvaise passe, c'est que vous pouvez taper sur tout ce qui bouge, on vous pardonnera à peu près tout. Alors je veux bien pardonner des choses à Luc Besson (si si je vous jure) mais là, c'est juste trop. Là c'est même plus la goutte d'eau qui fait déborder le vase, c'est le tsunami qui engloutit la Chine. Tu peux pas te proclamer chef de file du cinéma français et pondre ça. C'est impossible.


Je ne vais pas répéter tout ce qui a déjà été dit sur ce film, je partage évidemment tout ces arguments, mais il y a un point en particulier sur lequel je souhaiterais revenir et qui m'a poussé à mettre la note minimale plus que le reste. Et je veux parler de l'énorme prétention qui se dégage de chaque seconde du film.


Comprenez moi bien, je ne veux pas taper sur Besson gratuitement, ça ne m'amuse pas particulièrement, mais il faut quand même s'avouer que le bougre fait tout pour. C'est assez incroyable.
Vous n'êtes pas sans savoir que Besson a créé sa propre école de cinéma à Paris, une école ouverte à tous, pour tous. Je ne parlerai pas du fait que c'est une très mauvaise idée mais bon, tout ça pour dire que le petit Luc a du se sentir pousser des ailes de professeur.
Alors il a fait Lucy. Il a fait Lucy pour nous montrer à nous, pauvre imbéciles, ce qu'est le cinéma.
Parce qu'aussi surprenant que cela puisse paraitre, Lucy est un film à montrer à n'importe qui souhaite faire du cinéma. Ce film comporte énormément de procédés techniques ou de montage qui ne pouvaient pas être plus mal utilisé. C'est quand même une prouesse de rater autant de choses aussi simple, il faut bien lui reconnaitre ça.


Petit exemple tout con, et je sais que vous le voyez venir à des kilomètres, le montage parallèle. A ne pas confondre avec le montage alterné qui suppose un simultanéité temporelle, le montage parallèle a été inventé par Eisenstein dans les années 20. Ce dernier l'utilisait notamment dans La Grève pour comparer les ouvriers allant travailler à un troupeau de bétail allant à l'abattoir. C'est une métaphore subtile et porteuse de sens. Cette dernière phrase est très importante puisque c'est ce que le film ne fait pas.
Dans Lucy on retrouve aussi un montage parallèle au début du film quand la pauvre Scarlett ne voit pas venir le piège à des milliers de kilomètres. Franchement, qui dans la salle ne peut pas comprendre que la blonde en détresse plonge droit dans la gueule du loup ? Surtout avec ces plans forcés sur les méchants chinois que Besson s'acharne à ajouter. Alors utiliser le montage parallèle ici, c'est juste de la branlette intellectuelle pure et dure, c'est histoire de dire "hey regardez moi mes disciples, c'est ça faire du cinéma, je fais comme Eisenstein !". Ca n'apporte aucun sens en plus, le procédé en devient risible. Et ça a le don de m'énerver passablement.


C'est qu'un exemple bien sûr, il y en a bien d'autre. On peut continuer sur cette séquence et parler du fait qu'il n'y a AUCUN changement de valeur de plan sur le champ/contre-champ entre Lucy et le cow boy. Sans oublier tous les faux raccords qui donnent plus envie de vomir que de s'extasier.


Autre élément qui me fait me lever de mon siège, c'est la capacité du film à plagier, et mal en plus, de nombreuses oeuvres du cinéma.
On ouvre sur des singes.
Oh ben ça alors, on avait jamais vu ça, c'est pas Kubrick qui aurait les couilles de le faire. On me rétorquera que c'est pas parce qu'il fout des singes que ca plagie 2001, ce à quoi je vous dirai d'aller voir The Tree of Life, qui, en plus d'être relativement chiant, abuse d'insert animalier également.
On pourrait parler de la séquence de fin aussi. Pas la toute dernière ridicule avec le délire de la clé USB qui fait des étoiles, je veux parler de ce gros flashback que Lucy entreprend sur sa chaise de bureau. Ca aurait pu être bien. Ca part d'une bonne intention. Mais c'est exactement ce que font Baraka et Samsara, en 100 fois plus beau. C'est réchauffé, copié et ça ne s'assume pas du tout.


J'ai un peu l'impression que Besson est persuadé que pour être un cinéaste de haute volée, il faut à un moment donné, réaliser un film à portée philosophique. Sauf que non, non et non. Qu'un mec de son expérience puisse se dire que ce film est "du cinéma" dans sa plus belle forme est absolument aberrant. "Faire du cinéma" (je déteste cette expression mais bon), ce n'est pas simplement créer une accumulation de procédés techniques qui ont fait du cinéma un art. On ne peut pas consciemment faire Lucy et se dire que ce qu'on fait est une œuvre cinématographique profonde avec un fond puissant. Se dire que ce mec là se veut formateur de futurs cinéastes m’effraie alors au plus haut point. Ce n'est pas parce que tu aligne deux plans que tu fais du cinéma. Je ne sais pas si ce que je veux faire passer est très clair, mais je ne sais pas trop comment le formuler.


Regardez la séquence finale (la ridicule cette fois). A chaque plan on peut clairement voir l’œuvre d'un cinéaste qui n'a aucun contrôle sur quoi que ce soit. Une multitude de faux raccords, des décors qui partent en couilles, une direction artistique d'un ridicule absolu, des acteurs en roue libre et j'en passe. Et je vous ai pas parlé de l'écriture du film, des situations, des personnages, comme des dialogues !
Bref, je vais pas plus m'étendre, Lucy ça aurait pu être intéressant, voir même vraiment passionnant, mais ça ne l'est pas. La faute à un homme prétentieux, qui est persuadé que ce qu'il fait est grandiose, et qui a dévoilé la vision qu'il se fait du cinéma au grand jour. Et de toute évidence il n'a rien compris.

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le 30 sept. 2015

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Strangelove

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