Lucy, c'est l'infini à la portée des caniches.

La formule est simple : Lucy, c'est le scénariste de Wasabi explorant les origines et la destiné de l'espèce humaine, le pourquoi de l'univers, le sens de la mort, et les mathématiques. Céline a écrit que l'amour, c'est l'infini à la portée des caniches. On peut aujourd'hui remplacer l'amour par Lucy. Et ce n'est même pas (encore) une façon de dire que Scar Jo est tellement meugnonne qu'on tombe raide dingue d'elle. Non, c'est juste que c'est con. Non, pas "juste" : grandiosement. Lucy, c'est un des films les plus cons qu'ont ait pu réaliser sur le génie. C'est le 2001 des blaireaux qui aiment aller au ciné avec le cerveau éteint. La science bruyante du néant crasseux. Besson invente pour vous : un mix de 2001 justement (pour l'enfant des étoiles), d'Akira (pour le pouvoir écrasant), de Tree of Life (pour les origines du monde et le lézard), et de Taxi (pour les flics beaufs et les voitures). Vous arrivez à compiler ? Oui ? Lui non plus.


Histoire de dégager l'éléphant de la pièce, l'idée de l'Homme n'utilisant que 10 à 15% de son cerveau est un délire aussi romantique d'infondé remontant possiblement à la première moitié du 20ème siècle, "popularisé" à la fin des 90s par une pub débile américaine, et relayée depuis par des gourous peu inspirés et des toqués de paranormal en quête de justifications à leurs fantasmes de super-pouvoirs (tel que la télékinésie… si, si, on y arrivera !). Deux contre-arguments qui viennent en tête : d'abord, l'imagerie cérébrale démontre sans ambiguïté que si une de nos activités (lire, par exemple) ne sollicite qu'une partie de notre cerveau, la SOMME de nos activités finit par solliciter l'indéniable majorité du cerveau. Ensuite, si la portion "utilisée" de notre cerveau était 1) localisable et 2) réduites, comment cela se fait-il qu'une balle entrée dans le cerveau, lorsqu'elle ne tue pas, cause des dommages conséquents dans l'écrasante majorité des cas ? Et ce ne sont que deux parmi d'autres. En gros, le postulat de base est du niveau d'une blague Toto. Ça, c'est dit.


Ah, et on rappellera que Lucy n'est PAS le premier humain de l'Histoire, autre délire (afro-centrique en l'occurrence) du film… mais Besson n'en sera rapidement plus à ça près.


À partir de là, le spectateur usant de plus de 0% de son cerveau, plutôt que de se fermer comme une huître et attendre la fin de la séance (ou fermer illico la fenêtre WMP), peut toujours accepter de jouer le jeu. Après tout, l'expression anglaise "suspension of disbelief" a une raison d'être : c'est du cinéma, et l'on peut, on DOIT souvent "faire comme si" c'était possible. Le problème est que même à l'intérieur de sa logique, Lucy ne tient pas la route, enchaînant les prouesses de Lucy sans vraie progression dans l'énormité desdites prouesses, et s'autorisant absolument n'importe quoi au nom du spectaculaire, notamment dans ce chef-d'œuvre de WTF où Lucy SAIT comme par magie qu'un stylo rouge se trouve sur le bureau du mec qu'elle a à l'autre bout du fil et qui se trouve à 10 000 km de distance. Besson ne comprend vraisemblablement rien à la physique - il ne comprend même pas grand chose au fonctionnement d'un téléphone portable. Il ne fonctionne qu'au feeling, comme un collégien en chaleur. Pour montrer que son héroïne devient génialement géniale, il la fait taper à la vitesse de la lumière sur deux pc portables à la fois. Pourquoi deux ? Quid de la capacité des machines à encaisser cette vitesse ? On s'en fout, les gars, ça fait bien. Les gamins vont adorer. On pourra toujours dire, justement, que c'est à eux que s'adresse le film, plus précisément les lycéens de seconde sous forte influence de marijuana ("whoaaa duuuude"). Et qu'il faut se décoincer un peu. Le postulat de base n'offre aucun autre cadre que celui de l'illimité absurde. Ça va tellement loin qu'à la fin, on est en droit d'attendre Dieu, ou quelque entité infiniment supérieure s'en approchant. Ce qui nous donne : Luc Besson mettant en scène Dieu. Et là, même toute la bonne volonté du monde ne peut rien pour lui, car son Lucy joue bien trop avec le spectateur. Étale bien trop généreusement sa connerie. Un blogueur américain a qualifié le film de "cocaine movie". C'est vrai. Comme un accro, le film se prend lui aussi pour Dieu, ou invincible comme Tony Montana, alors qu'en fait, non. Il ne fait que se viander au bout de la route. Au moins, le réalisateur affiche sur ce plan-là un vrai sens de la progression dramatique : c'est à la toute fin de son film que la partie la plus débile survient, quand Scarlett-Dieu offre tout le savoir de l'univers à l'Homme... sur une clé USB (mais toute noire, hein, la clé, la classe). Une question nous vient alors : c'est une de 64 ou une de 128 go, Luc ? Hé ho, Luc ?


Pas que le mélange, ou plutôt le gloubi-boulga, soit sans qualités. Une pareille entreprise exige plus qu'une inconscience totale ; elle exige certaines compétences. La première étant celle du gros Besson en matière de spectacles chers et cons. On a la thune, on a un concept (Akirette), on a deux-trois scènes de blabla pseudo-scientifique pour donner l'impression aux spectateurs acnéiques qu'ils découvrent les secrets du monde inconnus de leurs parents, on a des course-poursuites pour amuser les pop-corneurs, on a Scar Jo, hip, hop, ze tour is played. En fait, derrière ses prétentions science-fictionnelles, Lucy est même une europacorperie typique rappelant l'hilarant détournement de Mozinor : on a les Chinois en pétard et les Audi, manquait plus qu'une pute et un gros black, et on aurait fait péter la banque. Bon, fallait peut-être pas exagérer. Après tout, Lucy, c'est le retour de Besson dans la SF, genre chéri de son premier scénario d'ado et de son film le plus cher à ce jour (Le Cinquième Élément). Un gros black, ça aurait fait négligé. Là, c'est sérieux. Humour.


En résumé, à l'instar du scénariste du récent et tragiquement nul Transcendance (encore avec ce pauvre Morgan Freeman, qui semble être devenu une sorte de caution "intellectuelle" pour mauvais films de SF), Besson n'a pas du tout les moyens de son sujet, et ça donne un spectacle d'action un peu débile et randomesque qui n'est divertissant que lorsqu'il ne prononce pas plus de trois mots. Et encore, même quand il parle, on n'est pas à l'abri de sa connerie intersidérale : avant même de partir en chupa-chups avec sa métaphysique Chocapics, Besson montre qu'il est parti définitivement dans la stratosphère dès la première scène d'action du film, lorsque Lucy se fait pécho par les gangsters coréens, en entrecoupant cette scène d'images d'archives de la chaîne Animaux montrant des fauves capturant une gazelle - la subtilité à l'état pur. C'est ridicule, c'est cheap, ça ne serait même pas pardonné à un étudiant en réalisation de première année.


Mais soyons tolérants. tout n'est pas à jeter, dans Lucy. Le film séduit même au début par la simplicité heureuse de son action. Jolie captive innocente, méchants gnakoués patibulaires (Choi Min-sik est amusant en very bad guy), décor photogénique, caméra fluide et musique d'ambiance d'un Eric Serra qu'on a connu moins inspiré, étonnamment. Et surtout, Scarlett Johansson. Si Besson sait faire quelque chose, c'est filmer les femmes d'action. Dans ce film, la Scarlett crève l'écran, charismatique, flamboyante, ingénue et fatale, physique et mutine, puis euh bonne. La voir passer progressivement de victime paumée à Wonderwoman platine n'est pas le pire des spectacles (on ne tient pas non plus la nouvelle Michelle Yeoh, mais elle assure vraiment) : sans elle, le film en serait à 3 points. Et Besson, histoire de rappeler qu'on a quand même affaire au réalisateur de Nikita et Léon (qui reste son seul chef-d'œuvre), trousse quelques scènes d'action fort divertissantes à défaut d'être sérieuses, comme la grotesque fusillade parisienne entre la PJ et des coréens surarmés. Et il y a bien deux-trois gags qui font mouche, aussi. Le flic reubeu en sidekick largué est amusant… enfin, un peu. Et il y a des Audi, aussi. Pif-paf-badaboum.


En fait, la seconde chose qui rend tolérable le visionnage de Lucy, en plus de Scar Jo, est sans doute sa durée très faible, une heure trente. Se contenter de 90mn quand on veut raconter l'univers est ridicule, mais c'est justement comme si, dans un éclair de lucidité, Besson avait SENTI qu'il valait mieux faire court. Par instinct de survie. Cette durée rend Lucy plus digeste qu'un four interminable comme le susmentionné Transcendance. Il fallait au moins cela à un réalisateur réduit depuis plus de quinze ans à ce qu'on appellera poétiquement l'ombre de lui-même...


Everything Wrong With Lucy In 15 Minutes Or Less : https://www.youtube.com/watch?v=i3rZmnJ66Po. De rien.

ScaarAlexander
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le 29 sept. 2014

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Scaar_Alexander

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