Une chose avant tout : je n'ai rien contre Luc Besson. Je n'ai rien pour non plus, mais quand même : réalisateur talentueux (Le dernier combat, Léon), souvent efficace (Le Cinquième Elément) mais avant tout businessman admirable (car producteur exécrable), je ne suis pas de ceux qui crachent sans vergogne sur cette forme un peu hybride d' "artiste". Qu'on ne me taxe pas d'enfoncer les portes ouvertes donc quand je dis que Lucy est l'une des plus belles daubes que j'ai pu voir depuis des années.

Le plus frustrant, c'est que le film contient tellement de défauts que je ne sais pas par où commencer. Pas par le scénario en tout cas ; si Besson n'en écrit pas, je ne vois pas pourquoi j'écrirais dessus non plus. Pas sur le casting non plus, où Scarlett Johansson est affligeante de monolithisme, jamais touchante (elle bute des innocents quand même...) et ne fonctionne avec aucun des personnages qu'elle rencontre (pas même Choi Min-sik qui cabotine également). Et question réalisation, sortez couverts : on atteint sans peine le degré zéro de la mise en scène.

Le pire ? Je partais avec une envie de me moquer du film, de m'amuser à snober l'entertainment made in Europa Corp, et je ne peux même pas : Lucy n'est pas drôle. Si le film est, force est d'admettre, une véritable leçon de cinéma dans le genre "tout ce qu'il ne faut pas faire", il n'est jamais touchant car, à mes yeux, ni sincère ni maladroit : c'est un film bâtard, fait pour de mauvaises raisons au mauvais moment. Luc Besson veut casser son image, et réutilise ses poncifs vieux de 20 ans (méchants asiatiques, bêtes policiers français, personnage secondaire [Morgan Freeman] totalement inutile). Il veut séduire les jeunes en filmant platement des scènes déjà vues cent fois ailleurs, en mieux (fusillade et course-poursuite en provenance des années 90 merci). Il veut paraître intelligent et divertissant, il est juste pédant et assommant, privilégiant les bavardages inconsistants à l'action. Il cherche une forme de crédibilité en balançant des données (erronées) scientifiques mais rejette en masse la crédibilité et la cohérence dans le reste du récit (une gonzesse en sang armée qui se balade dans un hôpital sans qu'on la regarde, les changements de cheveux, les hôtesses de l'air à peine stressée de la voir partir en poussière, le flic qui la croit d'emblée au téléphone ; trop d'exemples là, je bouillonne).

Et, surtout, il ne se repose jamais : passé une première image kubrickienne (modeste), entre la superbe séquence d'intro moitié bla-bla, moitié "tu te fous de moi" (mais si, le montage parallèle trop puissant entre Scarlett Johansson et les coréens et une antilope face à des guépards), le pillage d'images pas toujours d'archives (un plan tel quel de Samsara quand même, c'est tendu) et un final magistral qui, rappelons-le, se crache lui-même dessus (soit la théorie de l'évolution pendant 1h20 et une référence chrétienne évidente en gros plan à 1h21 ; Terrence Malick, rentre chez toi), le film est une bombe. Une de celles qui laisse sur les genoux, un peu hagard, plutôt sale, enfermé dans l'incompréhension la plus totale. Luc Besson vient d'atteindre un nouveau cap, c'est sûr et certain : celui de l'inconsistance non plus assumée mais carrément revendiquée.
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le 28 déc. 2014

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