Lulu femme nue par Gérard Rocher La Fête de l'Art

-Critique parue le 11 décembre 2015-


Mariée à un garagiste macho et brutal, maman de trois enfants, Lulu décide de prendre son indépendance en essayant de trouver un emploi. Malheureusement pour elle, complètement intimidée, l'entretien se passe mal. Au moment de rejoindre son domicile et sa petite famille près d'Angers, une impulsion se déclenche, elle décide sans prévenir son entourage de "s'évaporer" vers une station balnéaire vendéenne. Durant cette fugue Lulu fera trois rencontres qui vont réveiller sa vie se sentant alors utile et estimée: un homme sortant de prison, une femme âgée et veuve ainsi qu'une jeune fille travaillant dans un bistrot et sans cesse harcelée par la tenancière. S'agit-il là d'une potion magique menant enfin à la liberté ?


Cette œuvre nous dresse le portrait d'une femme avant tout désemparée, étouffée, rabrouée, victime d'un mari la traitant comme un objet. Elle est nue, c'est à dire sans défense et sans réaction devant sa situation de chômeuse.
Comme trop souvent, Lulu n'est destinée qu'aux taches ménagères, à s'occuper des enfants et à obéir aux désirs du mari lorsqu'il rentre du boulot. C'est lui seul qui ramène le salaire, l'épouse n'a qu'à se plier aux exigences de chacun. Lorsque cette femme ayant atteint la quarantaine sollicite une place de secrétaire dans une entreprise, le fait d'avoir cet âge et de plus trois enfants à charge n'arrangent rien à l'affaire. Lulu tient à un travail qui pourrait lui apporter un peu plus de dignité, elle y tient tellement qu'elle a bien du mal à sortir les mots qu'il faut lors de cet entretien et de plus la crise... oui toujours la crise. On garde la demande au cas où, cette réponse qui veut dire "non, allez voir ailleurs".
C'est ainsi que Lulu, après le ratage de sa première entreprise et refusant de poursuivre une telle vie, va subitement chercher à se trouver une carapace. Cette décision est lourde de conséquence, elle le sait mais tant pis. Le fusible de sa vie routinière a sauté, elle part voir la mer sans trop de bagages ni d'argent. Les enfants, le mari, la famille, elle n'en a que cure. Elle quitte son enfer pour vivre peut-être dangereusement, mais vivre quand même.


Au cours de ce séjour elle va découvrir des personnes atypiques qui essayeront à leur manière de "l'adopter" telle qu'elle est et en même temps de se servir de ses capacités pour venir se réfugier auprès d'elle afin de calmer leurs angoisses. Charles, Marthe et Morgane sont trois êtres qui n'attendent plus rien de très bon de l'existence. Ils vont trouver en Lulu une femme qui leur redonnera un peu d'espoir, un peu de joie et de bonheur même furtifs. Elle se drape de ce qu'elle donne, elle n'est plus nue, elle est enfin vêtue de dignité et s'il est encore temps, la métamorphose viendra peut-être tant elle la désire...


Ce film est le dernier de Solveig Anspach qui s'éteindra l'année de la sortie de cette réalisation absolument touchante, criante de sincérité et de révolte. Cette œuvre atteint dans la sobriété une puissance qui nous plonge dans les affres d'une femme tentant de se débattre afin de "vivre enfin sa vie", d'une femme recherchant une identité au sein de cette société qui la relègue à un rôle de mère au foyer soumise à toutes les exigences.
Elles sont nombreuses, trop nombreuses "les femmes nues" comme Lulu et l'interprétation de Karin Viard est émouvante et stupéfiante de vérité et de sincérité. Elle se révèle ici comme une très grande actrice faisant passer à merveille toute une palette de sentiments. Elle est de plus remarquablement entourée par Bouli Lanners, Charles, par Claude Gensac, Marthe et par Solène Rigot, Morgane, personnages d'infortune magnifiques et aussi vrais que nature.


Solveig Anspach aura donc, pour sa dernière réalisation, défendu avec beaucoup de persuasion et d'intelligence la dignité de la femme à travers Lulu que personnellement j'ai adopté. Je précise que ce film est tiré de la BD portant le même titre dont les dessins et le texte sont signés Etienne Davodeau.


Ce film a obtenu:



  • Festival du Film de Sarlat 2013: Prix d'interprétation féminine pour Karin Viard.

  • Lumières de la presse étrangère 2015 à Pris pour Karin Viard, meilleure actrice.


Box-Office France: 497 862 entrées


Ma note: 8/10

Créée

le 11 déc. 2015

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