Lumières ! est un film original.
En fait ce long-métrage hybride quelques genres plutôt que de se cantonner à un seul : c'est un film à sketchs puisqu'il montre une succession de 108 très courts-métrages pas tout à fait indépendants les uns des autres ; c'est un documentaire puisque chacun de ces films est assemblé et commenté de manière à expliquer et, fort justement, à documenter ; c'est une archive puisque ces petits films sont la seule ressource visuelle du métrage. Il n'y a aucun réel effet de transition entre chaque "sketch", sinon lorsque l'on change de thématique, et c'est tout à l'honneur du montage, qui sans quoi serait trop saugrenu pour coller au style documentaire.


Le film ne se destine pas à être un document sur l'histoire du cinéma, puisque son approche en la matière est synchronique et centralisée sur deux cinéastes, mais plutôt une commémoration, à la mémoire de deux créateurs. C'est pourquoi l'absence de Dickson Greeting dans l'évocation des prémices de l'art cinématographique peut au départ rebuter ; mais cela ne dure que le temps de définitivement se convaincre du sujet traité. Thierry Frémaux se charge ensuite lui-même de nous expliquer en quoi tel ou tel film est intéressant ou révolutionnaire, ne se privant pas de fines analyses dont la mesure ne confine pas au pédantisme, mais ne se limitant cependant quelques fois qu'à dire, non sans atermoiement, que cette séquence est belle. Par ailleurs le fait que Frémaux soit seule entité à commenter ces archives donne à sa manière quelques réserves : on ne perçoit pas entièrement la distance qu'il prend avec son sujet ; nul autre n'apporte sa propre analyse sur le développement ; quant à lui, sa diction et son expression, toute nuancées qu'elles soient dans leur intonation, peuvent finalement devenir rébarbatives. Ce n'est heureusement pas vraiment dérangeant, si l'on remet en perspective le propos historico-didactique de ce documentaire ; c'est hélas une conséquence logique de la concision des séquences analysées (aucune ne fait plus de 50 seconde), obligeant Frémaux à soutenir la cadence que donne son montage sans donner l'air d'en dire trop ni trop peu.


Se servir d'archives cinématographiques pour parler de l'histoire du cinéma fait de Lumière ! un habile paradigme de la mise en abyme, et cela permet du même coup à Thierry Frémaux de nous donner une véritable leçon de cinéma, non content de nous dresser l'historique de la carrière des frères ayant donné leur nom à ce documentaire, qui par là en devient intemporel. Qui aurait cru qu'un art encore à ses vagissements faisait déjà l'objet de remakes ? Que de si simples et courtes séquences faisaient déjà appel à une mise en scène précise ? Que des créateurs que l'on sait adeptes de la caméra fixe avaient déjà inventé les techniques du travelling, du panorama ou les trucages ? Et grâce à Thierry Frémaux on se rend compte que pour s'en aviser, il suffit juste d'un peu de recherches et d'un peu d'esprit critique et analytique sur l'objet pictural.


Mais on reste sur sa fin (sic) après la péroraison de Thierry Frémaux : "[Louis Lumière] fut le dernier des inventeurs et le premier des cinéastes. Et dès l'origine, il a fait de ce qui deviendra le 7ème art quelque chose de joyeux, de tendre et d'universel." Mouais. Final beau comme Cicéron aurait aimé, mais discutable. A nuancer.

Aldorus
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le 26 janv. 2017

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