Ce film de 1942 réalisé par Leo McCarey est une œuvre singulière. Globalement, le film n’est pas très réussi, mais la manière dont il est raté est assez saisissante. Il s’agit d’une espèce d’imbroglio qui mélange allègrement les genres et change fréquemment de ton d’une scène à une autre. On sent que le réalisateur ne sait pas trop sur quel pied danser, et cela se ressent de façon assez criante.


Le film démarre à Vienne en 1938. Katherine Butt-Smith (à prononcer "Bioute"), jouée par Ginger Rogers, est une américaine aux intentions un peu louches qui s’apprête à épouser un baron allemand, qui présente l’intérêt notable d’être riche comme Crésus et sans famille ni héritier. Elle fait la connaissance du journaliste Patrick O’Toole (Cary Grant), un compatriote qui cherche à se rapprocher d’elle afin d’en apprendre le plus possible sur le baron. L’agence de presse qu’il représente flaire en effet une histoire juteuse : bien qu’ostensiblement antinazi, le baron serait en réalité l’une des âmes damnées d’Hitler…


Suite à l’annexion de l’Autriche par les troupes allemandes, le baron, sa fiancée et leur encombrant et inlassable poursuivant se réfugient en Tchécoslovaquie. Le mariage a finalement lieu à Prague et la lune de miel des deux époux démarre sur les chapeaux de roue, dans un train pour Varsovie alors que le baron échappe de peu à un attentat.


Et puis après, cette joyeuse épopée se poursuit dans la moitié de l’Europe, où l’arrivée de nos trois compères provoque toujours de terribles dégâts.


Le film est très spécial en ce sens où l’on ne comprend pas très bien l’histoire que McCarey a voulu conter. Tout démarre sur des bases de comédie screwball avec la cour assidue à laquelle se livre O’Toole, face à une femme mariée ou en passe de l’être. Néanmoins, après quelques premières péripéties mouvementées, l’humour très présent jusqu’alors s’efface peu à peu au profit du ton plus sombre d’un récit de guerre. La conquête de la Pologne, les bombardements à Varsovie et la fuite de nos héros du ghetto juif sont traités avec plus de délicatesse, thème oblige. L’intention est louable : après tout, nous sommes en pleine guerre et tous les moyens sont bons pour fédérer une nation contre l’ennemi ! Le changement de registre n’est toutefois pas très adroit ; une scène en particulier, où Cary Grant et Ginger Rogers commentent le triste sort des habitants du ghetto, semble particulièrement lourde et forcée, dégoulinante d’un pathos peu subtil.


Le reste du film est du même acabit. Il est assez fascinant de constater à quel point une scène grandiose peut être immédiatement plombée par une séquence prodigieusement lourdingue. Le film semble, à tout moment, osciller entre le génial et le grotesque. Les exemples ne manquent pas ! Réfugiés à Paris, Grant et Rogers rendent visite à un photographe pour fabriquer de faux papiers. Celui-ci révèle son identité d’agent double et de citoyen américain. Commence alors une scène merveilleuse où Ginger Rogers lui donne la réplique, les deux font assaut de réparties en changeant systématiquement d’accent (illustrant ainsi la richesse culturelle des Etats-Unis, sans doute). Ça marche, et c’est même assez génial ! Mais le dialogue n’est qu’un prétexte pour finalement faire réciter à la pauvre Ginger le fameux serment d’allégeance au drapeau américain, dans une scène malvenue dégouttant d’un patriotisme sirupeux !


Le pire c’est tout n’est pas à jeter, loin de là. Dans le registre de la comédie loufoque, le film possède quelques scènes tout à fait savoureuses et délicieusement absurdes. La paire Grant/Rogers fonctionne parfaitement... la plupart du temps (comme pour les scènes, les acteurs peuvent être minables à un moment et géniaux la seconde qui suit...). La séquence d’ouverture du film est une merveille, et la conclusion est plutôt réussie également. Il y a aussi un passage fantastique qui implique un saxophone... Malheureusement, à côté de ça, les défauts du film sont assez criants. L’histoire peine à progresser, tenant plus d’un "guide touristique de l’Europe en guerre" que d’autre chose. La lourdeur de certaines scènes et la volonté qui transparaît de servir l’effort de guerre sont également néfastes au film, qui aurait sans doute pu, avec moins d’ambition, constituer une comédie tout à fait honorable.

Aramis
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le 27 oct. 2016

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