Marginalité, Illettrisme, Bégaiement, Résilience, Amour, Famille, Altérité, Défis : composent une fable sociale/récit initiatique dont la morale énonce que la clef de l'émancipation réside dans l'apprentissage du M (comme lettre) et du AIMES (comme sentiment).


M est un film sensoriel qui examine nos manières/biais/moyens de s'approprier le monde par le sensible (vue, ouïe, toucher) et la motricité (langage, écriture) pour le faire nôtre. Sarah Forestier met en scène la puissance émancipatrice du langage écrit et parlé. Dès lors cette rencontre/apprentissage permet l'émancipation qui élargit l'œkoumène spatial et mental des deux personnages principaux (Lila et Mo). Au fond, au fur et à mesure que les langues se délient/que les mains prennent la plume, les personnages se construisent/se réinventent et reconsidère leurs trajectoires.


La musique occupe une place déterminante et fait partie prenante de la construction narrative du film. Son absence totale dès les premières minutes du film est évocatrice. En parallèle de l'absence de parole formulée par l'étudiante bègue (Lila), se dresse l'absence de partition jouée. Puis, lorsque que sa langue se délie et que la main du jeune illettré (Mo) prend la plume la musique entonne ses premières notes, timides comme les progrès des personnages. Une musique enfantine retentit. C'est une phase d'apprentissage. Les notes, le rythme, les instruments sont simples. Enfin lorsque les progrès/volontés des personnages s'affirment, la musique emboîte le pas et s'accompagne des paroles/de la voix de Christophe. En somme, c'est comme si la musique extradiégétique se calquait sur une mélodie intérieure aux personnages et qui deviendrait alors une musique intradiégétique.


C'est également par le cadrage, très personnel et quasi-anthropologique de Sarah Forestier que se construit l'épaisseur des personnages. Elle met en scène sur la dimension foncièrement humaine du long-métrage. La réalisatrice imite/singe le réalisme documentaire, et cela dès la scène d'ouverture (réunion de personnes bègues) dans laquelle l'absence de musique, les dialogues réalistes et la caméra à l'épaule rendent compte de cette influence.


La sphère social transparaît/transpire à travers la caméra portée. C'est ici qu'on note l'influence d'Abdellatif Kechiche (L'esquive, 2004 dans lequel S. Forestier a joué) voire du Free cinéma britannique de Ken Loach. C'est un film à l'échelle de l'individu/du corps/de ce microcosme corporel et social. Dès lors, les plan d'ensemble sont rares, au profit de cadres rapprochés voire de gros plan (yeux, mains, parties intimes, bouches). Tout comme A. Kechiche (La vénus noire, 2010), S. Forestier interroge l'altérité. Le spectateur prend place comme personnage/témoin qui découvre cette personne mutique (Lila). Il est placé en position de curiosité/voyeurisme. Pour cela, la réalisatrice épouse le regard curieux de Mo sur Lila par un plan serré sur les yeux, seul sens qui semble mettre les deux protagonistes sur un point d'égalité.


Toutefois, la narration/focalisation/le point de vue gravite essentiellement autour des deux personnages principaux (Lila et Mo) au détriment de l'écriture/l'épaisseur des autres protagonistes et des substrats sur lesquelles ils vivent (lycée, friche industrielle, café-concert) qui semblent n'être que des vernis/du superficiel face à la justesse d'écriture des personnages et de leur environnement familial. Toutefois ce prosaïsme/réalité concrète entre en contraste avec les allures presque irréelles, de conte de cette rencontre fortuite/inespérée des deux personnages aux univers tellement duplices. Cependant très vite rattrapée/justifié par l'humanité de ces personnages, la réalité de leur marginalité/précarité sociale qui font qui ne sont pas totalement si différents.
Le film possède une véritable identité visuelle. Il mêle infusion/opposition/contraste entre une brutalité réaliste (absence de musique, caméra porté, contre-plongée, rapidité champ contre champ) et une poétique onirique (plan fixe, musique enivrante). Un exemple (sublime) : La scène de conflit entre Mo et la sœur de Lila (Soraya) dans le bus de ce dernier, lorsque la jeune fille découvre le secret du personnage. S. Forestier offre un champ contre champ ultra-réaliste qui porte la tension à son paroxysme. Plan suivant, une scène nocturne où Soraya est couchée sur le ventre de Mo lui-même endormie sur un hamac sur le toit de son bus. Une belle compréhension de la réalisatrice de la respiration du spectateur. Soulignons également la justesse/précision de l'écriture des background social des deux protagonistes centraux. Sans nul doute plus approfondie pour Lila, au niveau des interactions ou justement du manque d’interaction avec sa famille. Un père taciturne qui se révèle attachant, une jeune sœur qui découvre son corps, essaye d'attirer l'intention et surtout tente d'user d'une séduction naïve/non-sexuelle envers Mo qui est tout simplement touchante et juste.


« Si je ne pouvais écrire, je serais muet, condamné à la violence dans la dictature du secret |...] J'ai écris par instinct, par survie, je me suis surpris à écrire afin de supporter la vie […] Peut-être que je n'écris plus, je m'écris. » Kery James – Je m'écris.

Moodeye
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le 28 nov. 2017

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