Pour avoir marqué au fer rouge l'histoire du Septième Art avec un certain Metropolis, Fritz Lang peut se targuer d'être au rang des plus légendaires cinéastes, dont l'influence encore et toujours vivace fait partie intégrante de l'art cinématographique.
Avant son exil vers les États-Unis, et au terme d'une filmographie alors exclusivement muette, M le maudit fut son premier film parlant (1931), film qui se voit précédé d'une incroyable réputation à même de transcender le temps.
En effet, en sa qualité d'énième preuve d'un talent aussi bien formel que scénaristique (avec le concours de Thea von Harbou notamment), M le maudit pose les bases d'une réflexion implacable, lourde de sens et surtout superbement conduite : entendons par là, qu'au delà une réalisation avant-gardiste (bien que cela soit moins patent que dans Metropolis), tout l'ossature du récit, de la mise en scène au plus infime dialogue, concoure au bon cheminement de ce propos fort comme pas deux.
Certes, visuellement le tout a énormément vieilli, le contraire eut été étonnant, mais il faut bien reconnaître que le père Lang savait y faire : d'ailleurs, pour un premier jet non-muet, on ne peut que saluer une telle réussite sonore, l'utilisation ingénieuse d'un sifflement (entêtant, si ce n'est inquiétant, à souhait) ou encore de bruitages conférant au long-métrage un supplément d'âme des plus conséquents, à même d'instaurer tout du long une ambiance aux petits oignons (la séquence introductive, peu à peu lancinante, annonce la couleur).
Et puis, il faut bien dire que le sujet était de prime abord des plus intéressants : en s'inspirant (en partie) du "Vampire de Düsseldorf", Lang accoucha d'une intrigue foulant du pied le cadre étriqué du simple film policier (ou du thriller, ou les deux, tout dépend du point du vue) en la faisant tendre vers de plus grandes aspirations ; sur ce point, cette chasse bicéphale menée par la police d'un côté, et la pègre de l'autre, illustre avec grande efficience cette quête effrénée au nom de ses propres intérêts, de quoi souligner un peu plus la crédibilité des deux camps dans l'affaire.
Malgré d'anodines longueurs, M le maudit dresse ainsi avec maestria le portrait d'une ville aux abois, dont ses habitants, quel que soit leur bord social respectif, vont être affectés de près ou de loin par les agissements du mystérieux M, tueur d'enfant de son état ; Lang nous dépeint alors avec brio les aléas attenant à un tel climat de terreur, la suspicion des uns envers les autres, et vice versa, donnant naissance à un cercle vicieux des plus tenaces.
Mais ceci ne s'apparente au bout du compte qu'à une (excellente) mise en bouche (j'exagère), le film montant par la suite en puissance : en ce sens, l'axe "le chasseur devient la proie" prend quelque peu à contrepied la tonalité première du récit (les protagonistes, comme le spectateur, étaient soumis aux actions de l'assassin, alors hors de portée à ce stade) en renversant la tendance, conséquence d'un double-étau (police-pègre) s'avérant finalement plus efficace qu'escompté.
Parler de renversement ne me semble d'ailleurs pas assez fort, la présence croissante à l'écran du fantastique Peter Lorre s'accompagnant d'un chamboulement atmosphérique grandissant : en ce sens, le long-métrage gagne à n'en plus finir en tension au gré de sa fuite éperdue, ultime préparatifs d'un dénouement redéfinissant totalement les repères des personnages comme du spectateur.
Là est ainsi le plus grand tour de force de M le maudit, à savoir cet ersatz de tribunal opposant la clameur ardente d'une justice populaire bouillonnante à un pauvre hère s'avérant, contre toute attente, pas tant coupable que supposé : entre un plaidoyer lumineux tant il change notre regard sur la chose, et l'appel à l'aide déchirant d'un être prisonnier de sa maladie (dont il est la première et éternelle victime), le film achève de nous asséner une sacrée claque pétrie de bon sens, de quoi nous renvoyer aux travers d'une lecture purement manichéenne... soit celle de tout un chacun sous l'égide de ses émotions.
M le maudit est en somme une oeuvre brillante à souhait, ceci étant pleinement justifié par son message intemporel et la performance hors-norme de Peter Lorre (l'angle technique doit aussi être pris en considération) ; et pour finir, en guise de cerise sur le gâteau, je citerai cette fameuse séquence voyant l'inspecteur Karl Lohmann estomaqué à la suite de la révélation de Franz... au point de laisser choir son cigare tout en le cherchant vainement à son emplacement initial : j'en souris encore !