Il ne faut rien chercher de drôle dans cette comédie. Il suffit d’y humer avec délices le parfum quintessentiel de la bêtise. La bêtise anthropophage des Brufort qui dévore le quotidien, la bêtise poncifière des Van Peteghem qui asphyxie les socialisations. La bêtise taciturne des Brufort, la bêtise logorrhéique des Van Peteghem. C’est la même toile d’araignée en lieu et place du cerveau. Cette bêtise à toute épreuve. Inconsciente d’elle-même. Pérenne. C’est le vide. C’est la même.


Cette bêtise qui écoeure et qui effraie… dans la vie. Cette bêtise que Ma Loute circonvient et enferme dans les rets des Brufort.


Mais bien sûr ça a un prix. Comme un trou noir, la bêtise siphonne tout autour d’elle. A commencer par l’humour.


Aucun personnage n’est sympathique, il faudrait déjà qu’ils soient humains pour commencer. Tous sont des incarnations sinistres et enluminées d’une même abstraction. Tous sont grotesques. Aucune scène n’est mémorable, il faudrait déjà que Dumont souhaite qu’on les mémorise. Toutes sont des avatars monolithiques et sans espoir d’une même divinité.


Tout est désespérément PLAT, comme ces paysages pourtant magnifiés par une photographie colorée et magique. Tout est désespérément LOURD, comme cet inspecteur en chef obèse qui, miracle, à force de gonfler devient pourtant plus léger que l'air.


Car la bêtise insiste et redonde en boucle, dans sa plénitude d’elle-même. La bêtise unit les classes dans un même combat pour la crétinerie (« bestialité », même racine que « bêtise »). C'est un film bête sur la bêtise, comme le Et vice et versa des Inconnus était une chanson prétentieuse sur la prétention. Et dans les deux cas, le miracle, c'est la sublimation par l'auteur, qui nous permet ici de visualiser le vide, de le contempler, d’en jouir même, enfin de visiter en touriste qui sait qu’il va rentrer chez lui des calamités qui nous accablent dans la vie.


C’est ce confort cathartique, joint à une esthétique du grotesque aussi plaisante que poussée, qui fait que Ma Loute mérite, à sa manière très paradoxale, son nom de comédie. Mais la tendresse de Tati, la folie de Monty Python ? A des années lumières d’ici. Même si du nonsense, oui, il y en a, un peu. Et, moi qui aime tant le genre, je trouve que c’est dommage. C’est incongru, ça rompt une unité de ton autrement impeccable. Non, s’il faut une caution, j’opterais bien pour Buster Keaton, pour le côté « deadpan » d’une mise en scène par ailleurs plus stagnante que sautillante.


Mais je ne crois pas qu’il en faille. C’est le premier film de Dumont que je vois, et j’en verrai d’autres.

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le 6 juil. 2017

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