D’aucuns perçoivent le Festival de Cannes comme élitiste ou austère. La sélection 2016 les aura détrompés, grâce à un florilège de films inventifs, propices à faire travailler les zygomatiques de spectateurs embarquant dans des histoires haut perchées ; aussi haut que l’inspecteur volant de Ma Loute. Si Les Nouveaux Sauvages de Damián Szifrón avaient valu à l’édition 2014 de réintroduire la tradition de la comédie à saynètes sur La Croisette, les Nordistes – à l’ouest – de Bruno Dumont reprennent le flambeau du comique de situation. Des personnages cartoonesques, issus de l’imagination d’un réalisateur qui a pris l’habitude de décliner ces paysages nordiques. Cette fois, c’est un été plus que houleux dans la baie de la Slack des années 1910, qui abrite son improbable fresque sociale.


Rompu à l’exercice peu flatteur de la caricature avec P’tit Quinquin (mini-série présentée à la Semaine de la critique il y a deux ans), Dumont dresse un nouveau portrait des gens du nord et n’épargne personne. Logés à la même enseigne caustique, la bourgeoisie décadente du début du siècle dernier et les féroces pêcheurs de moules – chargés de les porter au-dessus de la fange marécageuse des bords de mer – dévoilent leurs travers. Le casting, judicieusement partagé entre têtes d’affiche et gueules de cinéma pour partie non-professionnelles, donne vie à des personnages qui n’ont pas besoin de dialogue pour susciter l’hilarité. Mimiques et expressions dignes des sketches contemporains de Keaton et Chaplin permettent de tout dire, sans dire mot.


Et pourtant, les dialogues valent leur pesant de popcorns ! Du moment qu’on les comprend, tant le trait est forcé quand on en vient au démesuré inspecteur Machin (Didier Despres). Une délicieuse exagération, qu’on retrouve aussi bien dans le jeu burlesque des comédiens, que dans les bruitages sonores et les cadrages, alternant plongées et contre-plongées. Jeu de perspective d’autant plus écrasant au format cinémascope, lequel renforce l’aspect pittoresque de la carte postale lunaire que peint Bruno Dumont. Avec une photo signée Guillaume Deffontaines (qui collabore avec Dumont depuis Camille Claudel, 1915) et un étalonnage des couleurs à la Burton, Ma Loute revêt l’esthétisme d’un conte désenchanté. « J’avais les autochromes des frères Lumière en référence, mais je ne voulais pas non plus tomber dans l’imagerie », avait souligné le réalisateur.


Ode à l’absurdité, au grotesque et au lâcher-prise, Ma Loute pose un regard cynique sur une époque révolue et pourtant pas tellement déconnectée de la nôtre. « C’est excessif », glisse Fabrice Luchini au détour d’une réplique. Excessif, Ma Loute l’est assurément. Mais ce n’est pas tant cet aspect du film qui le dessert, que les faiblesses du scénario qui, en dépit d’une prometteuse entrée en matière, s’épuise à mesure que l’enquête piétine. Théâtral à bien des égards, il tombe dans le piège du huis-clos et tourne en rond, au gré d’une intrigue qui aurait gagné à être mieux menée. Car Ma Loute a les défauts de ses qualités.


Bruno Dumont revisite le film en costume en faisant son cas à sa période de prédilection. À force de chercher Billie (Raph, jeune révélation du film) dans les dunes, Ma Loute finit toutefois par perdre le spectateur, au point de penser que les indéniables qualités de cette comédie décompléxée se prêteraient mieux au format court. Depuis son crochet par la case mini-série, le cinéaste aurait-il perdu le rythme narratif que suppose un métrage de 2h ? Si on retient d’irrésistibles pépites (à l’instar de la séquence de l’apéritif) le film de Bruno Dumont laisse une impression d’inabouti, qui lui coûtera peut-être sa place au palmarès, bien que la Palme de l’extravagance lui revienne de droit.


Ma Loute de Bruno Dumont, avec Fabrice Luchini, Valeria Bruni-Tedeschi, Juliette Binoche. Actuellement en salles et en Compétition Officielle au 69e Festival de Cannes.

ColineFeldmann
6
Écrit par

Créée

le 21 mai 2016

Critique lue 543 fois

Coline Feldmann

Écrit par

Critique lue 543 fois

D'autres avis sur Ma Loute

Ma Loute
guyness
3

Dumont: dure ville, rase campagne

Je n'y allais pas animé d'un projet de joie mauvaise, malgré une détestation relativement cordiale de ce que je connaissais du travail du bonhomme. Dumont, pour moi, c'est le type qui était capable...

le 25 sept. 2016

73 j'aime

43

Ma Loute
Chaiev
7

C'est du lourd !

Chaque famille a ses proverbes, et combien de fois ai-je entendu chez moi répéter cet adage : « on ne traverse pas un marais, on le contourne». Autant dire qu’en assistant à la projection du dernier...

le 13 mai 2016

71 j'aime

11

Ma Loute
Moizi
9

Touché par la grâce

Bruno Dumont, non content d'être le meilleur réalisateur en activité, montre maintenant à chaque film une volonté d'évoluer, de proposer autre chose, sans pourtant se renier. On voyant dans Camille...

le 13 mai 2016

61 j'aime

3

Du même critique

Ma Loute
ColineFeldmann
6

Ça plane pour Bruno Dumont

D’aucuns perçoivent le Festival de Cannes comme élitiste ou austère. La sélection 2016 les aura détrompés, grâce à un florilège de films inventifs, propices à faire travailler les zygomatiques de...

le 21 mai 2016