Si nous ne connaissons pas l’univers de Dumont (notamment sa mini-série P’tit Quinquin), nous allons être surpris à la découverte du phénoménal Ma Loute. Dans le bon sens du terme. Plongé en 1910, on y trouve un policier gros comme un ballon, un transsexuel amoureux d’un fils de pêcheurs, une famille d’aristocrate déglinguée, un homme scaphandre. Bref une certaine image de la France du XXème siècle, où le tout baigne dans une atmosphère de polar tarabiscotée, où d’étranges disparitions inquiètent la population…


Tout y est grandiose, excessif à souhait, filmé avec une grâce et une ambition qui manquent cruellement au cinéma français. Avec un ton qui ne connait pas de normes, les bourgeois consanguins sont opposés aux travailleurs cannibales. Tout le monde chute, tombe, roule, vole, et les références aux comédies burlesques de Charlot ou Laurel et Hardy ne sont jamais très loin. Le langage y est parfois incompréhensible, car ce ne sont finalement pas les mots qui importent tant. Mais la musicalité des personnages, tant dans leurs expressions que leurs gestes.


Ces protagonistes, d’une rare puissance comique, évoluent dans un désert de sable nordique, coincé entre la frontière du fantastique et du naturalisme, où la mer semble être un repère dont ils ne peuvent s’éloigner. Ce microcosme grandit en vase clos, tout ou presque est filmé de l’extérieur, comme si ces hommes étaient encore sauvages, dépourvus de tout sens commun. Cette fable surréaliste possède néanmoins un charme fou, une démesure qui explore les confins de notre imaginaire, nos fantasmes de cinéma enfouis au plus profond de nous.


Car que nous dit Dumont ? Au-delà de toutes conventions sociales, nous sommes et serons toujours l’égal d’autrui. Pas pire, mais certainement pas mieux. Ces deux heures d’une magie déconcertante nous font perdre nos repères de spectateurs. Le scénario n’est pas tellement ce qui compte le plus. L’enquête est en effet résolue en deux minutes, car seuls les personnages sont essentiels dans un ce récit où l’art de l’absurde est à son paroxysme. Mais la poésie n’est pas en reste, les lignes d’écriture sont d’une familiarité flamboyante, doublées d’un style théâtral et soutenu. Mme Binoche et M. Luchini, par votre brillance, votre richesse de jeu et vos prises de risque, merci pour l’un des meilleurs moments cinématographiques de 2016.


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le 24 mai 2016

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Hugo Harnois

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