"Jacquou le Croquant" ou "Dephine et Marinette à la plage" *

" Jacquou le Croquant " ou "Delphine et Marinette à la plage"*


J'ai titré ma première critique : "On va y aller mollo". Par contre, là ça va très fort !
Mais je vais devoir vous raconter un peu ma vie pour éclairer ma réaction et rédaction.
Ce sera aussi l'occasion de pousser un petit coup de gueule.


Du temps où j'enseignais à ma fille, passionnée par la langue française et l'orthographe, j'avais fait l'acquisition d'un livre de dictées qui me servait de support occasionnel, préférant le plus souvent piocher dans des auteurs que je souhaitais lui faire découvrir.
Las, las, et las, hélas !
Dans ce recueil, qui contenait entre autres atrocités, des extraits de Jacquou le Croquant (J'y viens, j'y viens !), les gens et animaux tombaient comme des mouches.
On pouvait compter dans les bons jours un mort par texte (sur une dizaine de lignes), quant à ce pauvre Jacquou, il était pratiquement le seul survivant : une véritable hécatombe: père, mère, curé, petite copine..
Moi-même traumatisée dans mon enfance par cette pauvre chèvre de Monsieur Seguin qui - et c'est là le plus cruel - à quelques minutes près, aurait pu s'en tirer, je n'ai jamais compris ce goût pervers pour un pathos démesuré.
Parler de la mort, comme de la vie, sur un pied d'égalité,oui. Ne parler que de la mort avec une surenchère de souffrance, de faux espoirs, de détails scabreux...non, non et non !.
On est plongé (noyé?) dans ce que j'appellerai la téléréalité de la mort.
Il y avait le syndrome de Peter Pan, là c'est le syndrome de Bambi.
Trop de pathos tue le pathos.
D'ailleurs, avec ma fille, la découverte de la dictée du jour était devenue un jeu où l'on s'amusait à deviner le nombre de morts.


Bref, après la chèvre, restons dans les ovins et revenons à nos moutons !
En l'occurrence Pénélope (Cruz), Luis (Tosar) et le reste du troupeau.
Sept personnages, trois morts (dont deux que l'on perd dès le coup d'envoi). Ca fait presque du cinquante-cinquante.
Un peu beaucoup, non? Possible certes, mais enfin, c'est vraiment la poisse !
Et comme dans la "Chèvre de Monsieur Seguin", un défilé de faux espoirs. Alternent dans un yoyo émotionnel, les séquences : "Cendrillon essaie la pantoufle" et "La panthère qui voulait voir la neige crève de froid" (référence: "Les contes du chat perché").


Un film sur le cancer, pourquoi pas? Ca ne m'avait pas rebutée et je ne m'attendais pas à me tordre de rire (finalement j'ai failli). Le sujet ne me rebutait pas et le début passe plutôt bien.
Même si m'agacent un peu ces images surexposées, baignées de lumière blanche.
Du blanc, du blanc, du blanc ! C'est "la semaine du blanc".
En écho à la froideur clinique? Allusion à la lumière éblouissante entrevue avant la mort?
Déjà, les symboles m'agacent que ce soit dans une oeuvre écrite ou filmée. Ca me donne l'impression d'être prise pour une imbécile ce besoin d'insister, d'en rajouter une louche.
C'est très didactique en fait, or pour moi, une histoire (servie par des acteurs) se suffit à elle même pour susciter une interprétation et une émotion chez le spectateur ou lecteur. Il faut laisser une marge de liberté à celui qui reçoit, et tant pis ou tant mieux, si le message de l'auteur est perçu différemment.L'art est une rencontre où chacun apporte son histoire et sa sensibilité, pas un cours magistral! Je n'aime pas ce qui m'est imposé, je me sens agressée.


Voilà déjà pour la première partie. Mais ensuite, le film bascule rapidement dans la caricature, coucou Cendrillon !
Pénélope a un cancer, bon, comme vous et "pasmoipitié" peut-être un jour.
Mais là où vous et moi allons nous battre seuls, au mieux avec un, une compagne ou notre famille, Pénélope, elle, est entourée par un fils aimant- pas l'ado égoïste et ingrat de base - plus pas un mais trois princes charmants, enfin des hommes pas des plus ordinaires si vous voyez ce que je veux dire..dont un gynéco crooner, avec un petit côté Roch Voisine, qui pousse la chansonnette! Si, si !


Vous comprendrez pourquoi, plus on progresse et moins le film me touche.
Comme un objet dont on ne verrait plus que les imperfections au fur et à mesure que l'on s'en approche.


La fin tient carrément de la comédie musicale à l'américaine;
Bluettes sentimentales (le gyneco-crooner), grandes embrassades et grosses ficelles :
notamment, un coeur (image récurrente) qui bat, qui bat, en gros plan. Battra t-y, battra-t-y pas?
Mais Julio (Medem) n'en est pas resté là, il a osé, devinez quoi?
Et bien, qui dit cancer dit...crabe évidemment !
Nous assistons donc, médusés (pour rester dans le domaine maritime), à la danse du crabe, au bord de l'eau. Une bonne partie du film se déroulant fort à propos, à la plage. Décor qui est également prétexte à un examen clinique, subaquatique, de la part du gynéco-crooner et comme si ça ne suffisait pas, en maillot!


En conclusion, je peux dire que ce n'est pas le "(h)omar(d) qui m'a tuer", mais le crabe !
Du coup, rapidement, au lieu de me sentir touchée par un sujet combien sensible; comme dans Jacquou, j'en étais à compter les morts, et à ne plus voir que le côté ridiculo-comique de la situation.
Dommage !
Reste la beauté de Pénélope, lumineuse jusqu'à l'article de la mort!


J'avais donc démarré avec un six dans ma tête, mais au fil de l'écriture, mon irritation croissant telle une tumeur qui m'occulterait tout le film, je suis rapidement passé à un cinq et je m'arrête vite à un quatre avant de faire preuve peut-être, de trop d'injustice.
A force de sombrer (toujours le domaine aquatique ! ) dans la caricature et le mélo, le film sombre tout court.Et je ne peux m'empêcher de sanctionner, ce que je considère au bout du compte (et du conte), comme un manque de respect pour la souffrance et la mort.
Comprenez-moi bien, moi, les contes de fées, je suis parfois cliente. Ma part "fleur bleue", "midinette"... ce que j'appelle moi, mon côté "calendrier des postes"- que vous n'avez sûrement pas connu pour la plupart - à cause des chatons, cockers, couchers de soleil et autres mièvreries que l'on pouvait y trouver, une image bien sûr, parce que perso, ce n'est pas le genre de photos que vous trouverez chez moi.
Seulement, pour moi, "Dirty Dancing" à côté de "Ma Ma" pourrait passer pour un film néo-réaliste !
De plus quand on va voir "Dirty Dancing", on sait où on met les pieds (façon de parler, pour un film sur la danse).
Alors un conte de fée qui parle d'amour,oui ! ( on a parfois envie de se laisser piéger)
Un conte de fée qui parle de mort, non.
Faire du léger, pourquoi pas, mais avec du léger.


*Delphine et Marinette sont les personnages principaux des "Contes du chat perché", autre "florilège" si je puis dire de mort et de souffrances.

Catherine_Gleiz
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le 18 juin 2016

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