Cinéaste surdoué pour certains, surestimé pour d’autres, Xavier Dolan est de plus en plus attendu à chaque nouveau film. Et les crocs acérés de la critique guettent le premier faux pas du prodige québécois. Entouré d’un bad buzz colossal suite à sa projection au TIFF, Ma vie avec John F. Donovan avait tout de la cible idéale. À juste titre ?


Enfin. Trois ans après son tournage, un remontage douloureux qui fait passer le film de 4h à une durée de 2h, amputant le personnage de Jessica Chastain au passage, le dernier film du réalisateur de J’ai tué ma mère est enfin là. Attendu à Cannes, finalement présenté à Toronto à la rentrée 2018, la presse sabre avec véhémence Ma vie avec John F. Donovan, premier film tourné en anglais de Xavier Dolan. De sa conception à son sujet, les résonances hollywoodiennes font que le film était attendu au tournant. Car après un casting frenchy 4 étoiles pour Juste la fin du monde, on passe à l’équivalent outre-atlantique : Natalie Portman, Susan Sarandon, Kathy Bates, Thandie Newton et enfin dans les rôles principaux, Kit Harington, star de Game of Thrones et le prodige Jacob Tremblay (Room, The Predator).


Après l’adaptation de la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, Dolan revient avec un film plus personnel. Lui qui, à huit ans, avait écrit une lettre restée sans réponse à son idole Leonardo DiCaprio. Il y a donc beaucoup du réalisateur / acteur / scénariste (et on en passe) dans le personnage de Rupert Turner, enfant marginal qui se rêve acteur. Lui qui nourrit un jour l’espoir de partager l’affiche avec son idole, John F. Donovan, star d’une série pour jeunes adultes. Contrairement à DiCaprio, Donovan lui, a répondu à la première lettre de Rupert. Et depuis les deux hommes entretiennent une relation épistolaire. Et toutes ces lettres auront un impact immense sur leurs vies respectives.


Pourquoi tant de haine ? Après visionnage de la version définitive proposée par Dolan, on se demande en effet pourquoi la presse américaine a été aussi sévère, au contraire de la presse française qui, à raison, encense le film. Car oui, Ma vie avec John F. Donovan est un grand Dolan. Avec huit films en seulement dix ans, ratio digne d’un Spielberg, Xavier Dolan donne l’impression, à même pas 30 ans, d’être déjà au sommet de son art, maîtrisant son dernier long métrage de bout en bout. Comme cette idée folle de laisser en suspens la question des lettres, pourtant au cœur de l’histoire, mais dont on ne saura jamais la véracité exacte. Pour le reste, le film propose un best-of des principales obsessions du cinéaste : les amours impossibles, la relation quasi œdipienne entre un fils et sa mère (souvent haute en couleurs), l’homosexualité… Des thèmes brassés et rebrassés par Dolan dans toute sa filmographie et qui trouvent un nouvel écho dans l’histoire de John F. Donovan.


Lui-même enfant star, Xavier Dolan semblait également être la personne toute désignée pour dresser un portrait peu glorieux d’un monde qu’il a d’abord admiré avant d’en connaître les rouages : l’industrie du cinéma et plus largement Hollywood. Couplé à ses thématiques habituelles, le jeune québécois propose ici une réflexion sur la célébrité, l’image et tous les faux semblants qui vont avec pour dresser un constat amer. Oui, au XXIe siècle, il est toujours difficile d’être gay et de le crier haut et fort. Et pour des enfants avec des rêves plein les yeux, comment s’identifier, comment trouver un modèle qui peut les faire se sentir mieux dans leur peau si eux-mêmes ne peuvent pas se le permettre ?


Un bon Dolan ne le serait pas sans un casting au diapason. Et là encore, le québécois frappe fort, avec ni plus ni moins que trois lauréates à l’oscar de la meilleure actrice au casting. Du haut de ses 12 ans, Jacob Tremblay irradie encore une fois la pellicule de son talent. L’autre grande satisfaction est la partition proposée par Kit Harington dont le personnage de Donovan lui colle presque à la peau. Lui aussi grande star du petit écran, parfois moqué pour son jeu, l’acteur prouve qu’il en a sous le capot et que le cinéma lui tend les bras. Avec ce casting solide, son sens du montage toujours aussi précis, Dolan récidive dans le registre de l’émotion. Parfois naïf, souvent bouleversant, toujours touchant, Ma vie avec John F. Donovan possède son lot de scènes à la puissance folle : celle de la télévision, la confrontation avec l’agent, celle du bain… Avec un emploi toujours aussi intelligent d’une musique, Dolan livre de véritables moments suspendus où le spectateur vient se perdre avec les personnages dans cette bulle utopique de quelques secondes, quelques minutes… Comme cette ultime scène qui vient vous cueillir au plus fort de vos tripes tandis que les premières notes de « bitter sweet symphony » se font entendre. Un final sublime qui frôle la perfection de celui de Mommy.


Ticket ou Télé ? Ticket, parce que la France est actuellement le seul pays à distribuer le film en salles. Oui oui, vous avez bien lu.
Précédent d’un buzz négatif totalement injustifié, Ma vie avec John F. Donovan est une vraie réussite et l’un des films les plus accomplis de son cinéaste. Ambition et maîtrise sont les maîtres mots de ce best-of des obsessions du cinéaste qui, au passage, offre une magnifique réflexion sur le star-system, Hollywood et l’impact que peut avoir une vedette sur les rêves d’un jeune enfant. Le tout porté par un casting qui vient compléter la richesse de l’ensemble. On espère un jour pouvoir mettre la main sur le director’s cut de 4h de cette oeuvre profondément bouleversante.

Breaking-the-Bat
8

Créée

le 14 juil. 2021

Critique lue 84 fois

Valentin Pimare

Écrit par

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