Si Ma vie avec John F. Donovan est le premier film américain du jeune québécois, il est aussi d'assez loin le projet qui lui a donné le plus de fil à retordre. Première ébauche du scénario début 2011 pendant Tom à la ferme pour un tournage fin 2016 avec un casting de folie, un montage trop en retard pour Cannes 2017 et en remontage pour Cannes 2018, le film est enfin présenté en septembre 2018 à Toronto où le prodige Dolan prend son premier gros revers critique (score apocalyptique de 13% sur Rotten Tomatoes). Les rumeurs circulent, on parle d'une oeuvre trop ambitieuse pour son bien, d'un film s'étalant sur 4h, d'une annulation pure et simple de la sortie, on se demande ce qu'il se passe quand est annoncé l'éjection du personnage de Jessica Chastain de l'histoire, et au final on se retrouve avec une sortie uniquement en France en Mars 2019 d'une version de 2h10, a priori bien différente de celle de Toronto. Projection, anxiété de subir une purge, découverte...


... Et bien c'est pas mal du tout.


Entendons-nous bien, c'est une bonne surprise comme est une bonne surprise de découvrir que ce que l'on a dans l'assiette est mangeable alors que l'on a vu le samu, les pompiers et un prêtre se précipiter dans la cuisine juste avant. Même pas en rêve on touche au niveau de Mommy ou de Laurence Anyways (son chef-d'oeuvre intemporel), mais ce n'est pas pour ça qu'il faut passer à côté des vraies qualités de ce film aux thèmes et aux ambitions trop garnies que pour son bien, y compris après deux ans de rafistolage.


Bien moins âpre que Juste la fin du monde, on reprochera principalement à Ma vie avec John F. Donovan ses élans trop guimauves sur une bande-son de DJ de mariage peu inspiré qui font allègrement passer la barre du too much a des scènes autrement magnifiques visuellement (4ème collaboration avec le génial directeur de la photo André Turpin). Un comble de toucher au culcul lapraline au vu de la noirceur des thèmes abordés : de nos jours l'acteur star Rupert Turner est interviewé par Thandie Newton (Maeve dans Westworld, reprenant un truculent rôle de femme de caractère), il revient sur son enfance, le harcèlement scolaire qu'il a subi, sa relation difficile avec sa mère (Portman, géniale de bout en bout), et surtout sa relation épistolaire secrète avec la star montante John F. Donovan (Kit Harrington) jusqu'à sa disparition en pleine gloire. Le bonhomme étant avant tout un concentré de thèmes Dolanien : personnalité d'artiste à vif, acceptation de son homosexualité, relation difficile avec sa génitrice (Susan Sarandon à qui on a dû contractuellement demander d'imiter Anne Dorval).


Dolan s'est inspiré de lui-même, pour pas changer diront certains, et alors ? rétorqueront d'autres. D'abord du Xavier enfant écrivant, comme son héros, à ses acteurs préférés (DiCaprio, d'après ses interviews) ce qui lui donna l'idée de cet improbable échange de lettres pendant 5 ans avec la star adulée d'un show typique de 90's genre "la trilogie du samedi". Ensuite il parle à demi-mot de lui adulte, du star system qui pousse à bout et de la solitude que l'on ressent dans sa tour d'argent, son Dol(nov)an empruntant au destin tragique d'un membre du club des 29 façon Heath Ledger. Idéal pour dresser un portrait en creux de son sujet, Kit Harington jouant comme un parpaing un jour sans vent, il est parfait en impénétrable brun solitaire sur lequel la célébrité est tombée trop vite, trop, fort, l'étouffant en l’empêchant d'être qui il est vraiment.


A côté on a non pas une mais deux mères comme Dolan sait si bien les faire : ambivalentes, qui rappellent sans problème ses précédentes réalisations. Au centre, la meilleure surprise du film, Jacob Tremblay, enfant star dans la vraie vie aussi (The Predator, Room, Wonder, ou comment à 12 ans mieux réussir à Hollywood que Kev Adams et Omar Sy réunis), impertinent mais jamais énervant. Ceux qui estiment Dolan pour sa direction d'acteur auront une nouvelle fois raison.


Alors quoi ? Florilège des gimmicks du réalisateur incapable de frapper aussi fort comme les précédant, on assiste à un spectacle qui vise toutefois tellement large que l'on saura trouver son compte à un moment ou à un autre (pour peu que l'on ne soit pas d'une mauvaise foi totale) sans pour autant adhérer à l'ensemble. Pour moi, le meilleur a été de voir Rupert adulte expliquer pourquoi il tenait tant à parler de J. F. Donovan à la journaliste pas vraiment réceptive aux problèmes de starlettes, on frôle le quatrième mur dans un dialogue presque trop facile mais diablement pertinent, à côté j'ai trouvé une scène où des personnages s'enlacent en se réconciliant sous la pluie presque gênante alors qu'elle aura fait pleurer la moitié de la salle, pareil pour un improbable passage avec un vieux cuistot moralisateur. C'est quand ça commence à ressembler à du conte de Noël que ça sent le moins bon, d'autant plus quand on évoque la dépression chronique ou l'homosexualité refoulée cinq minutes avant.


Peut-être qu'au fond tout est une question de sensibilité personnelle face aux propositions variées où pour chaque moment de grâce on se coltine un passage plus laborieux. Trop plein de bons sentiments, John F. Donovan ne nous emporte jamais vraiment même si on suivra sans trop de déplaisir ce moment de cinoche qui revient de loin. Imparfait, il a surtout l'immense défaut de naître dans une filmographie déjà riche mais aussi l'avantage d'essayer autant de chose qu'il en rate, et nous préférons voir ça comme un signe de bonne santé dans une carrière qui est loin de s'arrêter.

Cinématogrill
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le 4 mars 2019

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