L'abandon de l'enfance, l'isolement, la négligence, sa maltraitance, la première scène de Ma Vie de Courgette n'a pas besoin de mots pour les porter. Il suffit d'une mansarde vide au mur nu et blanc, tapissé de dessins aux traits incertains, du ramassage de cannettes de bières vides pour s'en amuser, ou encore du teint grisâtre de son petit héros triste, sentiment que la couleur bleue autour de ses yeux ne fait que rehausser. Puis l'accident et la culpabilité d'en être le lointain déclencheur viennent arracher Icare à la seule vie qu'il connaît, celle d'enfant du placard dont l'unique échappatoire est une fenêtre ouverte pour voir évoluer près d'un soleil illusoire le cerf-volant qu'il a fabriqué.


En une scène, Ma Vie de Courgette, sans jamais appuyer sur le pathos et le misérabilisme, rejoint le propos adulte de films comme Phantom Boy, lui aussi tout en animation, ou encore Room, en faisant évoluer l'enfance face à la perte, face au malheur, face à la tristesse, et dans la nécessité de se reconstruire.


Le placement en foyer de son petit héros pourrait plomber pour de bon le propos. Au contraire. Ma Vie de Courgette s'éclaire peu à peu. Car il fait se soigner mutuellement les douleurs et les failles de son petit groupe. Le manque, l'abandon sont toujours là. Mais il y a aussi quelque chose d'autre. Une vrai complicité entre ses petits gamins espiègles, une vie faite de bêtises dérisoire, de petits rien filmée à hauteur d'enfant et rythmée par leurs mots et leur vision simple des choses de la vie, même les plus abominables, mais paradoxalement toujours juste et pertinente. Leurs réflexions provoqueront en plusieurs occasions un sourire attendri, une émotion toujours juste et jamais forcée.


Cette simplicité des mots, sortant de la bouche d'une enfance qui a gardé malgré tout une certaine innocence, rend l'oeuvre légère malgré les thèmes qu'elle aborde. Ma Vie de Courgette ne s'appesantit pas sur la détresse qui l'anime. Il la saisit pour la mettre au second plan. Elle est là mais le film l'exorcise. Ma Vie de Courgette est comme l'enfance qui survit, telle une plante qui arrive malgré tout à percer le béton pour voir la lumière du soleil et s'épanouir. Dans un amour qui peut venir d'une famille ou de parents de coeur, d'une amitié complice ou encore de son premier béguin enfantin et maladroit qui attendrit et qui fait s'ouvrir aux autres.


C'est cette lumière qui est au bout du tunnel. Car si Ma Vie de Courgette confronte ses enfants de patte à modeler à leurs parents biologiques en perdition et qui resteront hors champ, il les fait aussi voisiner avec des adultes bienveillants et sensibles à leurs failles et à leur manque, faisant du film une oeuvre tout aussi fragile qu'émotionnellement vive et tendre. Comme le regard qu'il porte sur l'enfance, animée d'une vérité que l'on retrouvait dans un film comme Tomboy où déjà, Céline Sciamma, la scénariste, s'illustrait...


Tendre, émouvant, touchant, Ma Vie de Courgette navigue entre le drame et l'espoir de manière juste et vraie, comme l'enfance foudroyée qui reprend le dessus malgré la difficulté, qui se reconstruit malgré la douleur. A tel point que l'on ne peut que penser, au terme d'une séance qui sera passée comme un souffle, qu'un petit coeur tendre bat sous la patte à modeler.


Behind_the_Mask, qui va bientôt finir par aimer les légumes.

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le 3 nov. 2016

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