J’ai un amour certain pour les films d’errance, où un cinéaste prend le temps de laisser vivre le temps, celui-là même qui compose le quotidien. En ce sens, j’ai une passion évidente pour le road movie. Prendre la route, traverser de vastes étendues tantôt (sur)peuplées, tantôt désertiques, pour fuir un quotidien que l’on n’accepte plus d’endurer pour en chercher un autre, en espérant que celui-ci sera plus plaisant à vivre que le précédent. Macadam à deux voies est pour moi la quintessence du genre, un de ceux qui m’a le plus marqué et qui est à mon grand regret trop peu souvent mis en avant.


L’histoire en elle-même est très simple : ce sont deux hommes quasi-mutiques qui gagnent de l’argent en participant à des courses clandestines. Ils vont prendre en stop une fille puis croiseront un autre homme avec qui ils se lanceront dans une course jusqu’à Washington D.C, sans pour autant y arriver. J’ai énormément d’affection pour les personnages de « paumés », ces individus qui ne savent pas vraiment où aller, ni comment y aller, qui n’arrivent pas toujours à mettre des mots sur ce qu’ils souhaitent, sur ce qu’ils veulent atteindre.


Ce qui me plaît ici, c’est la volonté de Monte Hellman de capter l’essence des années 1970. On est parfois très proche du documentaire. Cette dimension est à mon sens renforcée par l’utilisation d’acteurs non professionnels, car mis à part Warren Oates les trois autres « acteurs » débutent au cinéma et seul Laurie Bird jouera par la suite dans quelques films de Monte Hellman. D’autant que les personnages n’ont pas de noms, ils ne sont définis que par leur condition : le mécanicien, le conducteur, la fille, G.T.O (du nom de la voiture qu’il conduit), ce ne sont que des âmes se mouvant dans le vide de l’existence, ils n’ont ni passé, ni futur.


Le film est fait d’escales : dans des diners, des stations-service ou des motels. La course jusqu’à Washington n’est qu’un prétexte pour faire un bout de route ensemble, les personnages ne font finalement que s’entraider, prennent des détours, s’échangent les voitures, partagent une bouteille d’alcool ou des œufs durs. Ce sont tous ces temps d’arrêt qui me plaisent, il n’y a pas de réels enjeux, ce sont simplement des instants de vie qui se déroulent sous nos yeux. C’est aussi très certainement pour cela que je trouve la fin du film merveilleuse : il se termine comme il commence, laissant les personnages vivre, exister au-delà de la pellicule qui brûle.


Peut-être ai-je une vision trop romantique du Cinéma, mais j’ai le sentiment de me reconnaître en ces personnages de « paumés », je comprends leurs doutes, leurs peurs car parfois j’y suis moi-même confronté. C’est sûrement parce que je me pose des questions, beaucoup trop de questions, que je suis fasciné par ces films où le cheminement compte bien plus que le but en lui-même. J’éprouve une grande admiration pour ce cinéma qui volontairement s’attache au quotidien et à la contemplation du monde, qui met en scène une esthétique du vide, ce vide qui nous entoure et qui notamment, m’obsède.

Mr__Brown
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le 21 avr. 2021

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