Voilà un chouette archétype du film anti-spectacle poussé à son paroxysme. Macadam à deux voies est un road movie épuré à l’extrême uniquement rythmé par le rugissement des moulins que des allumés du bitume, qui ne vivent que lorsque les vilebrequins suent de l’huile à grosses gouttes, poussent sans cesse dans leur zone rouge. Malgré cette quête de l’adrénaline par la vitesse, Monte Hellman filme une Amérique au ralenti, dépourvue de tout intérêt sinon celui de ses routes sinueuses mortelles et de ses relais routiers déserts tout juste bons à servir de cadre à la rupture douloureuse d’une histoire d’amour qui n’a jamais vraiment pris la peine de se construire.


Ses personnages désincarnés errent sans but sinon celui de se procurer les quelques dollars qui leur permettront de continuer leur route. En filmant la rencontre de 4 âmes en pleine dérive, qui se partagent temporairement un itinéraire commun, Hellman parvient à faire de l’absence de substance de ses marionnettes le principal intérêt de Macadam à deux voies. Des silhouettes qui n’ont rien à raconter, qui ne sont jamais définies par ce qu’elles furent et se contentent d’être, de n’exister qu’à travers les actions qu’elles réalisent devant l’objectif. Manger, boire, conduire, dormir, provoquer, profiter d’une vie oisive, s’inventer des vies fantasmées, constituent le seul programme d’une vie sans horizon. Lorsque l’un des personnages se risque à se laisser dominer par ses sentiments, il se fait immédiatement rappeler à l’ordre, son bolide surpuissant peut aisément être remplacé par un deux-roues au moteur encore plus bruyant.


Macadam à deux voies, ou la stratégie de l’échec qui rappelle l’excellent Point Limite Zero et sa fuite inexorable vers le néant. De cette course impliquant des pauvres bougres aux profils aussi disparates qu’inexistants ne ressort aucun vainqueur. Les cartes ont été distribuées dès le départ, à aucun moment les pilotes ne pensent à l’issue de leur cavalcade sauvage, seul le déroulement de cette dernière leur importe. En témoigne cette fin implacable qui symbolise la fin de l’affrontement, le constat de l’échec et le retour à la case départ. Seul le mythomane du groupe —excellent Warren Oates— profite de l’expérience pour gratiner un peu plus son prochain mensonge.

oso
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le 9 févr. 2016

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