Alors que, dans mes souvenirs de spectateur de théâtre, c'est la diabolique, manipulatrice, lady McBeth le personnage principal, Orson Welles décide de centrer son film sur le roi, qu'il incarne lui-même avec une démesure et un engagement assez stupéfiants. Les autres personnages n'existent que très peu, même sa femme est assez peu approfondie en comparaison avec "l'ogre" Welles.
Disposant d'un budget rikiki et de très peu de jours de tournage (bluffant de réaliser en 21 jours seulement un film de près de 2h, avec quand même quelques scènes de guerre...), Welles choisit de faire de cette faiblesse une force : son décor de carton pâte devient une grotte inquiétante par la magie de l'éclairage et du cadrage. Certes, par moments ça ne marche pas complètement : certains décors ou costumes sont vraiment trop kitchs. Avec un peu plus de moyens, Welles aurait sans doute atteint le niveau du Procès ou de la Soif du Mal.
On retrouve tout de même ce qui fait le style de ce cinéaste unique, très haut dans mon panthéon personnel :
- cet art du cadrage singulier (en particulier un personnage très devant, un autre dans la diagonale - cf. la scène où Lady McBeth pousse son homme au crime),
- ce jeu avec les ombres (cf. l'étonnante scène en plongée où la caméra se rapproche lentement de McBeth alors que les sorcières lui expliquent son destin - on ne voit plus à la fin que le visage de Welles dans l'ombre, son œil globuleux surgissant du néant),
- ces idées dans la composition des plans (cf. l'utilisation de la fenêtre dans la chambre de Lady McBeth, qui évoque les fourches des sorcières ; ou encore les plans sur les lances de l'armée en marche).
Plus que comme un assassin machiavélique, ce McBeth-là apparaît comme un homme torturé, prisonnier de son destin. La grotesque couronne évoquant la statue de la Liberté est d'ailleurs tranchée par McDuff dans le combat final. Oui, l'homme est captif de sa destinée, et celui dont le rôle aura été d'être un tyran sanguinaire est plus à plaindre qu'à blâmer. C'est, il me semble, ce que nous dit ce film profond, abordant Shakespeare avec un vrai parti pris artistique : ce qu'il fallait faire en se frottant à un tel monstre de la littérature. Car rendre hommage à Shakespeare, ce n'est pas l'adapter "fidèlement", ce que fera un Kenneth Branagh. C'est se hisser au niveau de créativité, de poésie et de folie du grand William. Une gageure, dont Orson Welles se tire avec brio.