Il y a bien sûr une certaine sensualité, très particulière et pas toujours linéaire,qui fait surface à la découverte d’un « film maudit ». La tentation de la marginalité, tout d’abord, couplée au sentiment assez contradictoire de voir un monde s’effondrer, d’observer une certaine forme d’apocalypse artistique – et d’apercevoir enfin, au milieu des décombres, apparaître une lueur cinématographique. Une lueur d’avant-garde quand elle n’était pas tout simplement complètement hors de son époque. Macbeth d’Orson Welles, pour la raison simple et foncièrement injuste qu’il s’agissait d’une réappropriation totale (et donc hérétique) de l’œuvre de Shakespeare, répond assez adéquatement à la définition de « film maudit » – il est aussi, et c’est tout à son honneur, un drôle d’objet, foutraque et virtuose, sorte d’obélisque monumental qui semble être sorti des flammes d’un autre temps, des enfers ardents d’un monde lointain.


Parler de réappropriation reste néanmoins une affirmation à nuancer : Welles, en grand amateur de théâtre, vouait une admiration presque religieuse à Shakespeare – qu’il jugeait d’ailleurs, paradoxalement, inadaptable au cinéma. C’est cette même réflexion qui le mena à complètement repenser l’adaptation théâtrale, et dans le même temps à s’assujettir complètement à des moyens (plus qu’à des règles) inséparables de l’art scénique. Shakespeare selon Welles, ce sont des flaques de boue, des panaches de fumée laissant entrevoir des forteresses ténébreuses, des couronnes faites de bois ancestraux, une langue à peine compréhensible, de colossaux bâtiments découpant un ciel noir balayé par une tempête éternelle. Le Shakespeare de Welles, il le tire de l’âge de pierre, il le forge comme une sombre épopée de récits immémoriaux, comme gravé dans un marbre noir, obscur, possédé.
Une architecture quasiment vaudou qui tranche radicalement avec tout classicisme. Du théâtre, Welles garde cependant ce geste visuel d’une image continue, synonyme d’un temps réel dans lequel l’action n’est pas interrompue : non seulement il conserve ainsi la verve tragique du récit, mais il lui confère surtout une vélocité épique, martiale, lyrique. Le chaos païen prend alors des airs de conte biblique : mais il ne faut pas se laisser leurrer, ici point de divinités, seulement la virulence des Hommes, sans manichéisme ni héroïsme, dont la seule croyance préhistorique semble être ce feu de la toute-puissance, seul à amener la mort, seul à les tromper et les rendre fous.


Macbeth donne l’impression d’une métaphysique cryptique – comme si, malgré les mots, malgré les actes, la bien célèbre saga nous apparaissait comme étrangement inconnue, rongée par le mirage enfoui d’un monde souterrain, oublié de l’Histoire. Plus simplement, Macbeth pourrait être une grande épopée primitive – sans illumination, sans valeur, un règne de sang, de fureur, de vengeance. Si elle n’apporte rien d’autre au récit shakespearien qu’une intéressante variation sur les motivations de ses personnages principaux, l’expérience est, elle, totale : fausse-étape clé dans l’Histoire du septième art, Macbeth est un authentique chef d’œuvre abandonné, une pierre angulaire d’un imaginaire hostile qui, sans avoir su inspirer ses pairs, pourra se targuer d’aller hanter longtemps nos rêves et nos cauchemars les plus noirs.

Vivienn
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le 8 avr. 2020

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