Poésie tragique d’une puissance inégalée, ce drame du plus grand dramaturge de la littérature occidentale est sans doute ce qu’il a produit de plus terrible, de plus intimidant.Orson Welles, son plus brillant adaptateur à l’écran, relève avec plus ou moins de bonheur la gageure de la fidélité à la pièce en partie modernisée par le génie évocateur de ses fulgurances stylistiques.
Un climat de fatalité maudite pèse sur chacun des acteurs , admirablement restitué par une caméra pas avare de pongée et contre plongées, les fixant dans la masse d'une fatalité prophétique duquel nul ne pourra trouver de rédemption. Condensant une action de plusieurs années, toute considération de temps disparait devant un spectacle dont le rythme est réglé par l’horreur et l’angoisse. La nuit y domine, avec de fréquentes invocations aux ténèbres et la présence cachée mais constante de ces abjectes créatures qui peuplent l’obscurité, furtives et rapaces , baignée dans une atmosphère étouffante de peur et de doutes, Macbeth (admirable Orson Welles) incarnant la vision du mal à l’œuvre sur un être et le possédant au point de le teinter entièrement de sa couleur, circonvenu par la fureur meurtrière, si étrangement tendue hors des voies naturelles – celle des sorcières-, et ontologiquement tendu à l’invocation au mal de Lady Macbeth, produisant ce jaillissement en elle d’un démon exclusivement issu de son être, comme un cri qui en libèrerait le pouls. Car il ne s’agit pas d’un mal qu’on pourrait délimiter à partir de l’ambition et du vice mais d’un mal absolu qui est de l’ordre du donné, et dont la nature toute de ténèbres, demeure inépuisable. Welles, fidèle en cela à l’esprit de Shakespeare, ne questionne pas l'absence de questionnement : nous ne savons pas ce qui agite ni ces amants du crime, sinon peut être pour Macbeth l’ardeur de la guerre et du sang, à l’instant où il a rencontrée sa tentation avec le triple salut des sorcières, son besoin naturel de savoir, d’être assuré ou rassuré quant à ses lendemains, cèdant sous la poussée d’une force qui le dépasse et qui lui dicte sa conduite future : prodigieux Welles tout fait d’incarnation diabolique et possessive, directement inspiré par le théatre antique, qui n’est plus qu’une volonté projeté vers l’abime où tous les éléments de son humanité vont, par suite d’une transmutation indicible, se charger en éléments du mal .
Si un tempo rapide engage le drame, depuis les premières mesures jusqu’à l’accomplissement de la prophétie, celui-ci se démarque à peine de ses versions théâtrales, le nombre restreints de décors de situations accentuant parfois jusqu’à l’écrasement l’impression d’une successions de huit-clos se suffisant a eux-mêmes, les sonorités de plateaux de tournage décourageant définitivement les quelques succédanés de réalisme qui étaient dès le départ dans les intentions de Welles. A défaut d’un très grand film du génial américain, un drame surpuissant puisant au plus profond du génie de son équivalent élisabéthain.