Les frères Safdie sont surprenants. Après la révélation que constitua Lenny and the kids, tous les curseurs semblaient les déloger de la scène mumblecore pour les voir faire de l’indé plus classique, c’est en tout cas comme ça que moi, je le voyais. Premier élément troublant, la durée de leur absence sur long métrage depuis Lenny and the kids : Six ans. Ils ont émergé de nulle part puis ils ont disparu des radars. Et ils sont revenus avec ce nouveau cru new-yorkais, une histoire de jeunesse et de drogue, d’amour fou et d’addiction. De loin, ça ressemble à du Larry Clark. De près, c’est toujours du Safdie pur jus. Avec quelques dysfonctionnement, chemins de bifurque, et c’est tant mieux.


 Comme pour leur précédent, ce film est exploité en Europe sous un titre sans rapport avec le choix original. Tout tient en ces mots : La folie, l’amour, New York. Ça résume assez bien le programme à quelques détails près : Il est aussi beaucoup question de drogue, des trottoirs, des junkies, de la mort. Car s’il s’agit d’une histoire vraie – Puisque les Safdie ont casté une jeune SDF, Arielle Holmes, pour un de leur projet (Un truc dans le milieu des diamantaires, avec Vincent Gallo, qui ne verra malheureusement jamais le jour), qui leur a raconté par écrit son histoire ; ils ont décidé d’en faire un film et de lui offrir son propre rôle – il est peut-être autant question d’un amour insolite et destructeur entre deux réprouvés de la grande pomme accrocs à l’héroïne que d’un virage cinématographique vers les terres de la fiction (Arielle devient d’ailleurs Harley à l’écran) ou qui du moins s’extraie du petit voyage autobiographique des frangins qui nous guidait jusqu’alors.
C’est un film très difficile, qui n’hésite pas à filmer ce macrocosme microscopique avec crudité, alternant de grands moments de malaise avec des apaisements divins, à capter ce climat de manque, de détresse, tout en bagarres pathétiques – Dont celle, magnifiquement ridicule, entre Ilya et Mike, sur le talus enneigé d’un parc, entre les feuilles mortes – et tentatives de suicide ad nauseam. Jamais les Safdie, pourtant, ne visent le naturalisme. Il y a toujours dans leur cinéma quelque chose, un élément naissant, une fulgurance soudaine qui brise la tendance immersive pour en proposer une autre, alternative. D’un téléphone portable balancé éclot un feu d’artifice. En y réfléchissant, peut-être que cette image – Qu’on aurait fait publicitaire ailleurs – concentre tout le magma romantique et nihiliste du film.
Ainsi, d’emblée le film s’ouvre sur un défi de se donner la mort et se poursuit jusque dans un hôpital. Aux cris, larmes, insultes et bruits de la ville qui accompagnent le chantage amoureux, répond une chorégraphie électronique incroyable (Le puissant Phaedra, de Tangerine dream) unissant les corps d’Harley avec ces patients inconnus et ces infirmières mystère. Au passage, la musique d’Isao Tomita, reprenant nombreuses des mélodies de Debussy (Sur son album Snowflakes are dancing) est régulièrement utilisé ici et offre au film un flottement enfantin surprenant. Ce qui est très beau chez les Safdie et qui peut d’ailleurs être contre-productif c’est de constater combien le réel est masqué sous la fiction, qu’il n’est pas utilisé pour propulser la plus-value documentaire du film.
On apprend donc qu’Arielle Holmes était sous méthadone pendant le tournage et qu’il y avait le risque qu’elle replonge ; On apprend aussi que le garçon (incroyable) qui joue Mike était en cavale et s’est fait arrêter quelques heures après la dernière scène qu’il avait à tourner. Il a pris un an. Et plus distinctement, le générique nous apprend la mort d’Ilya, le vrai dealer de l’Upper West Side, campé ici par la gueule bien cassée de Caleb Landry Jones, qu’on a récemment croisé dans Twin Peaks, the return. Tout chez les Safdie tend à déstabiliser, sans pour autant perdre la chair de leur récit, la beauté d’une rencontre, la douleur d’une retrouvaille. La valeur de plan change constamment, entre la longue focale et le cinéma-filature. Quoi de plus normal que de les voir aujourd’hui investir le cinéma de genre.
JanosValuska
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le 24 oct. 2017

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