Mad Love in New York ( Heaven Knows What pour le titre américain bien plus mystique d’ailleurs),est le genre de film que l’on doit à une rencontre, à un imprévu. Ben et Josha Safdie n’auraient pas eu l’idée du film avant de rencontrer Arielle Holmes, dans le métro new-yorkais. Ils ont de suite repéré le potentiel cinématographique de son visage, de sa personnalité, de son mystère. La suite de cette rencontre, a été la demande des réalisateurs de l’écriture concrète d’un livre sur la vie de cette jeune femme, ses expériences, ses ‘’galères’’. Ce livre, s’avérera être le futur scénario de Mad love in New York. Ainsi, le caractère très personnel et très intime de cette histoire est extrêmement palpable. Le fait qu’Arielle Holmes ait co-écrit le film, implique une dimension qui plonge le récit dans un réel plus que concret. Elle a vécu tout ce qu’elle raconte et incarne ; le plaisir ressenti quand on fait bouillir la substance nocive dans la cuillère, la responsabilité nulle que donne la vie dans la rue, l’alcool qui réchauffe et fait oublier... Ce film est donc par extension une rencontre, avec la jeune actrice/auteure. On évolue donc dans l’univers d’Harley, ou plutôt d’Arielle. Son univers c’est donc aussi l’électro battu d’Isao Tomita qui berce le film. Elle voulait, comme l’on dit Ben et Joshua Safdie, que la musique du film soit la même que celle qu’elle écoute tous les jours à travers ses écouteurs.
Mais on peut également voir le film comme une rencontre avec la rue, la vie de la rue et sa dureté, le film en est un réel témoignage. En effet, comme leur deux premiers films, ce dernier se déroule à New York. Cette ville, qui a vu grandir les deux frères, est aussi importante dans leur film que n’importe quel protagoniste. Elle vibre et bouge au rythme des vies, témoin muet et immobile de toutes les péripéties. Dans the pleasure of being robbed sorti en 2008, l’héroïne évoluait déjà elle aussi dans les quartiers délabrés, voguant, seule et sans repères. Le macadam new-yorkais est donc une véritable marque de fabrique chez les deux jeunes américains, une obsession pour son esthétique, son atmosphère, son caractère singulier.


Il ne s’agit donc pas d’un documentaire en immersion ni d’un biopic que l’on qualifie de “tiré de faits réels” même si dans les faits ,il l’est.
On reste toujours avec, proche, et contre, tout contre Harley, l’héroïne. Dans l’intimité de son bain, dans les pièces lugubres où l’aiguille perce la peau et le poison se repend dans les veines. Plus précisément, le film suit un couple de toxicomanes interprétés par Arielle Holmes(Harley) elle même, et Caleb Landry Jones(Ilya), dont le charisme et le visage puissant donnent du relief à leurs personnages de monstres urbains. A travers les rues sales et sombres de l’Upper East Side,ils se battent contre leur addiction violente l’un pour l’autre, mais évidemment aussi contre celle, sans bornes, qu’ils ont pour la drogue. On partage alors avec les deux protagonistes tout au long du film cette ‘’perception droguée’’ où plus rien n’a d’importance, où tout est flou et reste en suspend.
Cette ‘’vision grogie’’ est d’ailleurs très intéressante: elle sert à mettre de la distance entre les événements et nous autres, spectateurs. Comme un flou léger qui dévoile tout, tout en nous protégeant de la crudité de l’événement, un peu comme dans Le fils de Saul, de Laszlo Nemes, où la dureté des images des camps nous apparaissent floutées, pour ne pas choquer. Pourtant, une fois additionné au contexte, aux visages et aux sons, ce flou artistique nous plongeait tout de même violemment dans l’horreur environnante.


On peut également rapprocher Mad Love in New York de Requiem for a dream de Darren Aronofsky, dans ces visions droguées, accordées entre les personnages et le spectateur.
Seulement dans Requiem for a dream, nous sommes pris, portés par cette cadence rapide, ce récit rythmé. On est emporté dans ce tourbillon d’événements que rien n’arrête. Dans Mad love in New York, le rythme est plus lent et moins porteur, ce qui nous donne cette impression d’être laissé sur le bord de la route, au lieu d’être emporté dans la tourmente des événements.


Mais nous sommes aussi ici, mis à l’écart de l’histoire par la mise en scène (la caméra capte l’action à distance, du coin d’une rue, de la fenêtre de l’immeuble d’au dessus ou du trottoir d’en face) créant ainsi une douce distance entre Harley et nous.
L’image est très épurée et nous fait ainsi rentrer sans autre distraction visuelle que ce que l’on a déjà sous les yeux, dans leur histoire...
Alors on regarde, ou plutôt on voit, on est témoin. De ce recommencement permanent, de ce cercle vicieux et infini dans lequel sont enfermés les personnages. Les moments d’espoir, les périodes où ‘’ça va mieux’’, ne sont qu’oasis, qu’aparté au milieu de cette jungle urbaine qui mange tout.
On sent la vulnérabilité, on sent la fragilité, on sent que tout cela ne tient qu’à un fil. On sent que tout est très personnel.


Mad love in New York est un film sensible, à fleur de peau, à fleur des peaux. Nous sommes dans ce juste dosage des sentiments, du jeu, qui fait que tout cela est plausible, crédible, réel, pendant un moment. Les dialogues retranscrivent également cette réalité presque palpable. Ce sont des paroles ‘’vraies’’, pas ces dialogues type de cinéma mais des dialogues de la vie, des phrases de tous les jours qui ont, eux aussi, une certaine poésie. Car, oui, le film a également sa part de poésie. Vient s’opposer aux instants de réalité urbaine des mirages merveilleux, comme lors de la séquence du lancer de téléphone et de son feu d’artifice incongru, ou celle de la mort spectaculaire d’Ilya.


POURTANT, je me suis malgré tout sentie étrangement vide de toute émotion, même quelque peu fataliste. Comme si l’indifférence, l’apaisement que provoquait la drogue que ces fouleurs de pavé s’injectaient dans les veines... avait contaminé les miennes. Cette rencontre avec la ‘’dure réalité de la vie’’ déjà mentionnée ne m’est pas apparue comme une rencontre, à cause de cette distance et de cette froideur, elle m’est apparue plutôt comme un témoignage. Un témoignage qui de fait, ne nous implique pas directement. Ce n’est pas le genre de film qui invite au sortir de la salle, à une grande relativisation de son quotidien. Peut être est ce parce que j’ai récemment découvert d’autres films plus marquants traitant du même sujet, mais je n’en suis pas ressortie indignée ou bouleversée.


Mon ressenti envers Mad Love in New York s’oppose à ceux expérimentés à la fin de The smell of us, de Larry Clark où la vie de ces jeunes perdus et éperdus dans les rues parisiennes est traité de façon beaucoup plus sombre et cru. Le réalisateur nous montre ce qu’il advient lorsque l’on est livré à nous même sans codes ou limites et par extension quand on devient dépendant aux drogues dures en nous impliquant plus profondément dans l’histoire par le biais de cette proximité créée par les cadrages serrés que l’on a des visages et des corps contrairement à cette distance qu’imposent ,consciemment ou non, les frères Safdie.


Ce dernier film des frères Safdie marque alors un véritable tournant dans la carrière des jeunes réalisateurs. Ils sortent des deux premiers ‘’objets gentils’’ qu’étaient leurs premiers films pour s’aventurer dans quelque chose, de plus sombre, plus dangereux, de plus ‘’prise de risque’’. Je conseille donc à quiconque d’aller plonger ses yeux dans les salles obscures et dans ce cinéma des rues sales des frères Safdie.

carlabernini
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le 26 févr. 2016

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