Vacances avant la fin du monde

Être amateur d'univers post-apocalyptiques et ne jamais avoir vu les Mad Max... Ce n'est que l'une des nombreuses contradictions de votre serviteur. Je ne vous ferai pas l'affront de détailler l'influence de cette saga sur la culture populaire mais vous serez peut-être intéressés par une rétrospective qui prendra la forme, pour moi, d'un vaste cours de rattrapage.


Le premier opus part sur ce postulat particulièrement original de ne pas se situer après la chute de la civilisation mais pendant. A Hollywood, cela signifie généralement des attaques extraterrestres, des lambadas cataclysmiques, et des rots enflammés qui pulvérisent la Maison Blanche (quelle perte pour l'humanité !). Mais dans un film fauché australien, c'est plutôt synonyme d'un monde terne et dépeuplé parfumé de caoutchouc brûlé et d'ultra-violence.


Comme dans tout bon classique de série B (au sens noble du terme), le manque de moyens est logiquement contrebalancé par une créativité de tous les instants. Ne pouvant tourner dans des bâtiments dignes de ce nom, Miller et son équipe se voient réduits à occuper des bâtiments en ruine pour simuler les locaux de la police. Contrainte qui donne un cachet délétère d'une rare puissance aux premières minutes de ce Mad Max.


L'univers du film restera nécessairement nébuleux, brossant à traits suggestifs un futur qui parait aujourd'hui foutrement crédible, une lente agonie sociétale où de rares spasmes de jouissance seront arrachés à un no man's land moral. Les mécaniques hurlantes foncent sur le bitume comme les symboles d'une sauvagerie ardemment désirée, ultime fix avant la mort. Miller ne s'y trompe pas et met toutes ses tripes dans la réalisation de ces virées démentes, parvenant à retranscrire une sensation de vitesse et de liberté assez jouissives.


Mais le gros du métrage ne réside pas en cela. L'histoire est avant tout celle d'un flic au bout du rouleau qui décide de se consacrer à sa famille malgré, et surtout à cause de, l'horreur qui menace d'engloutir le monde. C'est ici qu'intervient une dissonance à mon sens difficilement surmontable pour le spectateur attaché à la cohérence d'un monde. Max et sa famille partent en vacances sans vraiment savoir où aller, n'hésitant pas à errer sur des routes littéralement contrôlées par des gangs de motards assassins.


Plus étrange encore, la petite famille s'arrête un moment dans un espace touristique qui propose un stand de crèmes glacées... Pourquoi pas des montagnes russes et une pêche aux canards pour compléter le tableau ? Certes, l'idée est de montrer une parenthèse d'insouciance qui sera bientôt rattrapée par l'implacable sadisme du réel. Mais comment Max, un flic conscient du délabrement et de la violence de son époque peut-il soudain se sentir à ce point en sécurité qu'il envoie carrément se promener seuls sa femme et son bébé ?


Le drame à venir ne ressemble plus à une monstrueuse injustice mais plutôt à la conséquence logique d'un comportement particulièrement stupide. Il faut attendre le quart d'heure final pour voir se réveiller Mel Gibson, qui jusqu'ici ne semblait pas tellement habité par la folie annoncée par le titre. On devine alors le nihilisme tranchant que Miller a voulu insuffler à sa création, sans parvenir à le maintenir sur toute la durée du métrage.


Ces problèmes d'écriture n'occultent pas, cependant, le mérite du film: proposer une image à peine déformée de nos pulsions auto-destructrices, de l'incapacité de notre société à braver le retour d'une sauvagerie qu'elle croyait disparue. Les dernières images augurent enfin de la venue d'un nouveau monde: un horizon désertique où l'on cherchera en vain le moindre stand de crèmes glacées.

Amrit
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le 20 déc. 2020

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