Sous un enrobage délicieusement loufoque, Serge Bozon offre avec son dernier film MADAME HYDE une véritable réflexion de fond social et politique sur la grandeur de l’enseignement et ses difficultés.


Encore un film avec Isabelle Huppert, diront certains ! Il est vrai que la star a beaucoup (sur) occupé les écrans depuis deux ans (L’Avenir, Elle, Souvenir, Marvin ou la mauvaise éducation, Le Genou de Claire, Eva). Mais Serge Bozon (lire notre interview du réalisateur ICI), qui l’avait déjà faite tourner dans Tip Top, lui permet en interprétant le rôle de Madame Géquil, d’explorer une facette qu’on a rarement eu l’occasion de voir à l’écran : la faiblesse. Et elle est fait à nouveau des étincelles!


Énonçons donc les données du problème posé dans MADAME HYDE, à la manière d’un exercice de mathématiques. Soit Madame Géquil, professeur de physique dans une classe technique d’un lycée de banlieue. Petite bonne femme inhibée, maladroite et transparente, Madame Géquil est en échec depuis le début de sa carrière car elle ne parvient pas à transmettre son savoir. Comme étrangère à sa propre vie, elle n’est ni dans la souffrance, ni dans la plainte, mais continue simplement sur sa lancée, sans remettre en question sa pédagogie et son rapport à autrui inadaptés. Ses élèves chahutent en classe et la méprisent, de même que ses collègues, le Proviseur (Romain Duris) et l’Inspecteur de l’Education Nationale. Seul son mari Pierre (José Garcia), homme au foyer, lui apporte quelques ondes positives dans sa vie.


Soit Malik (Adda Senani, dans son premier rôle à l’écran), élève handicapé chez qui Madame Géquil a décelé une intelligence en sommeil. Effronté, insolent, il n’est hélas pas le dernier à se comporter mal en classe. La question du problème est donc la suivante: quelle est la probabilité pour que Madame Géquil permette à Malik d’exprimer son potentiel? Dans le contexte actuel, la probabilité est nulle. Mais heureusement Serge Bozon donne la solution par le biais d’un déclic étrange, qui va engendrer la transformation profonde de madame Géquil et son influence sur son entourage: l’accident surnaturel dans le laboratoire de la prof, qui prend la foudre en plein cœur.



“Véritable ode à la science et hommage à l’enseignement, MADAME HYDE
est un film original, décalé, étonnant, drôlissime et dense par le
fond de réflexion qu’il véhicule, qu’il faut voir absolument. CQFD.”



Le film bascule alors brillamment dans le bizarre, le fantastique, le comique, et certains spectateurs ne manqueront pas d’être décontenancés, ne sachant à quelle branche se raccrocher. Et c’est ce qui fait incontestablement le charme et la force du film. Car Serge Bozon s’est amusé avec sa coscénariste Axelle Ropert à éviter très adroitement, comme une boule de flipper, de biper les codes du genre. Ils ont repoussé, jusqu’à l’absurde, les limites de la normalité d’un film sur l’éducation grâce à des contrastes extrêmes pour mieux faire ressortir le comique et le décalage des situations. Il inverse de façon jubilatoire tous les clichés des représentations des profs, des élèves de banlieue, des hommes et des femmes, de la famille, du handicap.


Tout comme les choix des acteurs pour interpréter ses rôles masculins, qui vont à l’encontre de l’image que les excellents Romain Duris (La Confession, Cessez-le-feu) et José Garcia (A fond, Tout Schuss) renvoient généralement. Les gags vestimentaires, les effets visuels et les dialogues surréalistes sont eux aussi très réjouissants et s’inscrivent dans une image qui participe énormément à la compréhension de l’histoire, faisant parfois penser à celle des romans- photos.


Le réalisateur maintient habilement le suspense et la surprise, et ne va jamais dans la direction dans laquelle on serait en droit de l’attendre. Il éveille et titille notre curiosité intellectuelle et émotionnelle jusqu’au bout. Car à aucun moment on ne s’ennuie, où on ne décroche, malgré quelques longues scènes de démonstrations mathématiques et physiques. Autant dans Le Brio il y avait le plaisir de la rhétorique et de l’argumentation philosophique, autant dans MADAME HYDE, il y a celui de l’argumentation mathématique et de la démonstration par la preuve. On n’oublie évidemment pas la symbolique de « L’étrange cas du Docteur Jekyll et Mister Hyde » de R.L Stevenson, source d’inspiration de MADAME HYDE, qui oblige à une fin étonnante et, bizarrement, tout à fait vraisemblable compte tenu de la teneur du film.


Véritable ode à la science et hommage à l’enseignement, MADAME HYDE est un film original, décalé, étonnant, drôlissime et dense par le fond de réflexion qu’il véhicule, qu’il faut voir absolument. CQFD (Ce Qu’il Fallait Démontrer).


Sylvie-Noëlle


https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/critique-madame-hyde-867723/

LeBlogDuCinéma
8
Écrit par

Créée

le 27 mars 2018

Critique lue 880 fois

1 j'aime

Critique lue 880 fois

1

D'autres avis sur Madame Hyde

Madame Hyde
Fritz_Langueur
5

Volt négatif !

Quand je ne sais pas quoi penser d’un film, j’en viens à me poser la bonne vieille question du « est-ce que c’est un film que je (re)verrai à la TV un dimanche soir de farniente ? Si c’est un oui le...

le 23 avr. 2018

14 j'aime

2

Madame Hyde
Elisariel
6

Timidité ?

Le réalisateur Serge Bozon a eut l'audace de choisir Isabelle Huppert pour son exceptionnel talent à endosser les rôles les plus divers. Les plus glauques. Les plus osés. Arborant parfois sous une...

le 13 avr. 2018

13 j'aime

2

Madame Hyde
JanosValuska
3

La France sous cloche.

C’est bien joli de vouloir travailler sur l’inattendu, la linéarité brinquebalante, de proposer de l’inconfort de manière générale – Bozon n’a cessé de répéter que ce qu’il aimait par-dessus tout au...

le 6 juil. 2018

8 j'aime

Du même critique

Buried
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Buried par Le Blog Du Cinéma

Question : quels sont les points communs entre Cube, Saw, Devil, Frozen et Exam ? Ce sont tous des films à petit budget, dont le titre tient en un seul mot, et qui tournent autour du même concept :...

le 21 oct. 2010

43 j'aime

4

The Big Short - Le Casse du siècle
LeBlogDuCinéma
7

Critique de The Big Short - Le Casse du siècle par Le Blog Du Cinéma

En voyant arriver THE BIG SHORT, bien décidé à raconter les origines de la crise financière de la fin des années 2000, en mettant en avant les magouilles des banques et des traders, on repense...

le 16 déc. 2015

41 j'aime

Un tramway nommé désir
LeBlogDuCinéma
10

Critique de Un tramway nommé désir par Le Blog Du Cinéma

Réalisé en 1951 d’après une pièce de Tennessee Williams qu’Elia Kazan a lui-même monté à Broadway en 1947, Un Tramway Nommé Désir s’est rapidement élevé au rang de mythe cinématographique. Du texte...

le 22 nov. 2012

36 j'aime

4