Made In France n’est pas qu’une affiche osée et un thème casse-gueule. Est-il trop tôt pour un thriller sur une bande de jeunes attirés par le djihadisme après la tragédie de Charlie Hebdo ? Nicolas Boukhrief nous prouve que non.


Évidemment, le parallélisme avec l’attaque des frères Kouachi en janvier est plus que facile avec la thématique choisie par Made In France. Un thriller forcément politisé, urbanisé, qui est pourtant né bien avant le début de l’année.


C’est que, malheureusement, l’inspiration vient de plusieurs attaques passées. Il y a, bien entendu, l’affaire Merah de Toulouse, les vagues d’attaques du milieu des années 90. Parmi tous ces profils, une figure se dégage : celle de Français, souvent marginaux, où l’image du père est absente, perdus dans une spirale de promesses et de dépravation du monde. Heureusement, Made In France ne cherche pas à monter un film absolument politisé, ni à convaincre d’une vérité. Il cherche à faire un thriller. Tout simplement.



LA GUERRE SAINTE EN RANGE ROVER



Made In France n’est pas le premier film sur le djihadisme en France. Toutefois, chercher la primauté de parole n’a pas vraiment d’intérêt. De l’aveu même de Boukhrief (auteur et réalisateur des excellents Assassin(s) et Le Convoyeur), les attentats de janvier ont transformé un thriller qu’on aurait trouvé en d’autres temps simplement poignant en un film à la thématique on ne peut plus actuelle. Sous l’impulsion d’un leader aussi charismatique qu’effrayant de détermination et de paranoïa, Hassan (Dimitri Storoge), et d’une hiérarchie obscure, quatre jeunes aux frustrations multiples décident de passer à l’action sur le sol français. On retrouve deux jeunes de cité, Driss et Sidi, respectivement Nassim Si Ahmed et le talentueux Ahmed Dramé, aperçu dans Les Héritiers. Christophe (François Civil) est même catholique de bonne famille, et prête la maison de sa grand-mère comme QG des opérations.


En vérité, seul Sam (Malik Zidi), musulman « intello », aurait sa place légitime dans la petite équipe. Sauf que, loin d’être un perdu de plus, il est journaliste. Sa mission ? Infiltrer un réseau djihadiste. Pour l’histoire, au début. Pour la police, par la suite, lorsque la petite troupe décide de passer la vitesse supérieure et de placer une bombe dans Paris. Il devient alors le témoin de la descente aux enfers de ces apprentis-terroristes, des délires schizophrènes de Hassan, des certitudes, des colères et des remords des suiveurs. Il fait le lien humanisant entre les spectateurs et des personnages qui ne tombent pas dans la caricature.



WE ARE FOUR FRENCHMEN



C’est qu’à une thématique aussi lourde, la difficulté tient dans l’équilibre. L’esquive des évidences. Ne pas tomber dans la glorification de l’acte, au risque d’être complaisant, opportuniste, glacial. Ne pas tomber non plus dans la stigmatisation, dans la peur à tout-va, dans la banlieue source de tous les maux, au risque de laisser le film se faire happer par la récupération tendancieuse de l’extrême-droite, de créer des amalgames là où la société française a justement, dans son ensemble, plutôt bien réagi après l’attentat de Charlie Hebdo. Plutôt que d’en faire un drame politique, Made In France s’installe intelligemment dans un thriller. Ça canarde, un peu, mais ça parle, surtout. Beaucoup. Et pas pour rien.


Au gré des débats, au gré des actions, les personnalités de chacun se révèlent. Non, ces terroristes auto-proclamés ne sont pas ces soldats sans âme qu’on nous vend parfois dans les journaux et à la télévision. Non, il ne suffit pas d’un message Facebook pour tomber dans l’islamisme. Le malaise est plus profond, plus sociétal. Le mal n’est pas unilatéral. Plus qu’une histoire de destruction, Made In France est une histoire d’auto-destruction. La mort rôde, bien plus proche que les idéaux de vengeance absolue récités lors des interprétations fallacieuses du Coran.


Alors qu’il traverse une très fine couche de glace, Nicolas Boukhrief se permet de glisser entre les idées reçues pour livrer sa version d’une certaine jeunesse, parfois désœuvrée, et de son ivresse de transcendance, souvent détournée. Seuls regrets, les quelques exagérations narratives finales superflues, notamment en fin de métrage, quand l’histoire se suffit à elle-même. Dommage, puisque même dans ses non-dits, Made In France était suffisamment équivoque sur son sujet. Un film qui n’a pas vocation à comparaison, mais à vision cinématographique avant tout, en oubliant jamais que les acteurs sont avant tout des histoires de vie. Voilà peut être la meilleure manière de traiter l’islamisme radical au cinéma.


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le 4 nov. 2015

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