Difficile de se raccrocher à un pilier moral qui serait seul capable de racheter celle des autres ou la notre, de morale. Made in France, malgré son héros malchanceux, se fait surtout le récit d'identités fracturées cherchant des réponses à leurs questions (la vengeance ? la pureté ? la destruction ?) ou à se faire l'agent avoué du chaos, quand bien même ils apparaîtraient intégrés à nos sociétés occidentales (classe moyenne et bourgeoisie se retrouvent autour d'un credo commun).

Pourtant, si Made in France souffre parfois d'une écriture un peu mécanique, il a le mérite de vouloir dépeindre une réalité dont peu de cinéastes mais de plus en plus essaient de se faire l'écho. Cependant, on peut se demander si le sujet peut faire à lui seul le film et l'absoudre d'une mise en scène parfois un peu monotone si ce n'est attendue. Ainsi, l'abjection et la perversion qui caractérisent son antagoniste, Hassan (Dimitri Storoge), le rendent bien trop irréaliste pour maintenir jusqu'au bout le degré d'horreur nécessaire au visionnage de Made in France et viennent, surtout, ternir une fin qui aurait davantage gagné à maintenir l’ambiguïté et l'effroi sourd dégagés par Dimitri Storoge. Le scénario de Nicolas Boukhrief et Eric Besnard manque tout simplement assez de subtilité pour que chaque personnage puisse nous apparaître dans sa vérité, ceci au profit d'une forme beaucoup plus proche de celle d'un polar que d'un film politique. La résolution du conflit fonctionne alors essentiellement sur une sorte de persistance de la culture qui agit comme un ressort comique chez le personnage de Christophe (pardon, Youssef, dont le dernier réflexe face à la mort reste de se signer) et comme un puissant rempart contre la barbarie – resté inexploité par la mise en scène – dans le cas de Sam (c'est sa connaissance du texte, sa foi, qui le sauvent d'une véritable déchéance morale). Les autres sont sans passé et se posent relativement peu de questions. Là où Sidi (Ahmed Dramé) évoque un doute sur son désir de prendre les armes, Sam revient au texte ("La vengeance n'a rien à voir avec l'Islam"). Malheureusement le film évacue trop rapidement son personnage, de même pour Driss (Nassim Si Ahmed) dont les pensées nous restent totalement opaques. On peut comprendre le désir de Nicolas Boukhrief de ne pas excuser ses personnages mais moins celui d'en faire uniquement des silhouettes pour ne pas se donner la peine d'expliquer. ​


 Made in France semble également se dérouler dans un pays qui n'aurait pas connu les attentats de Toulouse et dont l'évocation, ne serait-ce qu'une fois, aurait pu permettre de placer clairement les événements de ce film dans une continuité historique ou du moins dans un contexte historique défini (même si l'évocation en filigrane du meurtre d'enfants rappelle au spectateur le souvenir de ces attentats). Car si Made in France se saisit courageusement de ce sujet pour en faire le récit d'une lente progression vers l'horreur, il n'en reste pas moins qu'il échoue à être un film politique. Nul pouvoir n'est ici représenté en action : d'où viennent les ordres ? De nul part. L'agent du chaos de l'islamisme radical joué ici par Dimitri Storoge et dirigés par les ordres, réels ou fictifs, de ses supérieurs, reste essentiellement habité par sa propre volonté de mort. L'ordre policier se justifie lui aussi de recevoir ses ordres d'en haut pour cacher sa propre ambition ou plutôt son désespoir de pouvoir ainsi remonter l'entièreté de la filière, comme si remonter aux origines du mal pour en couper les racines pouvait racheter les manquements du système ou les fautes déjà commises à l'encontre des victimes. Made in France ne raconte pas plus la lutte d'un individu contre le système : quel système ? Quelle lutte ? Sam reste impuissant, incapable de fuir, condamné à réagir sauf à retardement comme dans l'avant-dernière séquence du film, cette dernière souffrant d'ailleurs d'une facilité scénaristique ou peut-être doit-on y voir, tout simplement, le refus du réalisateur de céder à la représentation du massacre.

​ Ainsi, le film se désintéresse assez rapidement de la question du pourquoi au profit du comment. Malgré une fin en forme de happy end on en retire un goût amer, un désespoir muet contre un état des choses dont ne sait que faire.

caesonia1
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le 27 mars 2016

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