Banni des formulaires administratif, le terme Mademoiselle se fait une toile

Si l’habit ne fait pas le moine, et les décors ne font pas le film, on est bien obligé de reconnaître que dans un cas comme dans l’autre ce sont des éléments qui donnent des indications sur ce qui croise notre chemin.


Dans Mademoiselle, l’imposante demeure qu’habitent les deux tiers du récit est tellement grande qu’on ne peut en avoir une vision globale. On y arrive de nuit et une partie des murs est occultée par la pénombre, on y actionne des portes et fenêtres comme on ferait glisser les décors d’un théâtre, on ouvre des tiroirs qui se superposent, bref on est dans un bâtiment quasi vivant, où on ne sait jamais qui peut voir ou entendre à travers les murs.


C’est exactement ce qu’est le récit: un meuble plein de tiroirs, de recoins, et de double-fonds: quand on pense avoir compris un personnage, il retourne son masque et nous montre une autre facette, il rejoue la scène avec une intonation différente et tout est éclairé d’un jour nouveau.


“Mademoiselle” est fascinant et merveilleux: déjà parce que tout y est beau: acteurs, décors, variations sur les langues coréenne et japonaise, tout est là pour charmer à grand coups de folklore asiatique.
La mise en scène et la photographie sont travaillées pour renforcer à la fois la beauté du cadre et le mystère qui l’entoure: il y a régulièrement des parties obscures, comme si un observateur était tapis dans l’ombre, prêt à attaquer.
Le spectateur en question c’est nous, et la part d’ombre, c’est ce que le film se réserve le droit de révéler peu à peu.


L’histoire est découpée en trois partie:


la première, la plus classique, suit le parcours de la jeune servante qui arrive auprès de la douce Mademoiselle. C’est attendu sans l’être puisque la servante derrière ses allures gauches est la complice du faux baron venu courtiser l’héritage de la riche orpheline. Situation d’agent double qu’on nous montre d’entrée de jeu.


La seconde partie entend redistribuer les cartes, où Mademoiselle devient un personnage totalement différent de ce qu’on avait pu imaginer: son passé nous permet de réinterpréter des scènes déjà vues, et le film devient bien plus intéressant. C’est de loin le passage le plus excitant à suivre.


La dernière étape peine à séduire autant que les précédentes, elle n’est pas mauvaise, elle permet d’en apprendre davantage encore, de fignoler le tout, mais elle est beaucoup moins maîtrisée: c’est comme s’il avait absolument fallu y mettre les éléments “dérangeants” pour marquer définitivement le spectateur.
C’est dommage parce que le reste était absolument divin.


Ce récit qui se déplie tel un origami permet d’être en constante découverte, on ne s’ennuie jamais dans cet univers où il y a toujours matière à s’émerveiller: admiration devant les décors, découverte perpétuelle des personnages, histoire à retricoter…
Le talent de Park Chan Wook est d’arriver à construire son récit à tiroirs sans jamais perdre le spectateur. C’est à ça qu’on reconnait les talents de conteur.
Il nous mène en bateau et pourtant à un moment il fait passer un avertissement via un dialogue où un personnage préconise “d’occuper avec de belles choses pour endormir la vigilance”. On ne peut lui en vouloir de nous tromper alors qu’il nous a donné les clés de son tour.
C’est exactement comme ça qu’est construite la première partie, et ça marche diablement bien. Du coup on ne peut s’en prendre qu’à nous de s’être laissé porter par ce qu’on nous montrait.


La force de Mademoiselle, c’est aussi de mettre en avant deux femmes et leurs relations: relation sociale de la maîtresse et de la servante, de la nièce et de son oncle, relation affective puis amoureuse des deux héroïnes, relation aux hommes, à la mort, à l’isolement.
Les deux femmes sont réellement au centre de tout le récit, et si on devait faire un reproche au film, c’est d’oublier les hommes, de n’en faire que des mauvais, mais il y a bien assez de choses positives à côté pour oublier que pour une fois la vapeur est inversée

iori
9
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le 14 déc. 2016

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