Est-ce le visage de Cécile de France et ses yeux pétillants ? Est-ce le sourire d'Edouard Baer et son bagou ? Ou est-ce l'univers dans lequel Emmanuel Mouret les plonge ? Dès le premier plan, où l'on entend puis l'on voit les deux protagonistes marcher au loin pour s'approcher de nous, j'ai été pris par l'environnement riche et englobant du film. Mademoiselle de Joncquières est ce genre d'oeuvre qui agit sur nous comme un cocon qu'on ne veut plus quitter et dans lequel on voudrait se lover et vivre.
Film historique dépoussiéré au karcher coloré, le récit proposé par le réalisateur français met en avant le jeu de séduction et l'état de faiblesse que plonge les amoureux transis. Madame de La Pommeraye (Cécile de France) n'est pas dupe, elle sait que le marquis des Arcis (Edouard Baer) est un coureur de jupons : il se lasse dès que les résistances féminines sont rompues. Pourtant, elle aussi, elle va se laisser séduire, elle aussi elle souffrira, avant d'échafauder un plan tortueux pour faire souffrir durablement cet homme se moquant des femmes.
Les deux acteurs se régalent de cette histoire de sentiments, s'amusent et rendent si naturelle cette relation qu'ils développent entre eux. Nous ne pouvons que nous en réjouir et ouvrir grands nos yeux pour ne rien rater de leurs échanges cordiaux. Ils semblent être nés pour se rencontrer, pour expérimenter ce film, et le reste du casting féminin est à l'avenant. Des visages et une interprétation toute en retenue, qui m'évoquent par certains moments Portrait de la jeune fille en feu, par ce désir (masculin, ici) de capter un visage qui fuit (celui d'Alice Isaaz).
Comment rendre ce récit, datant du XVIIIème siècle, moderne ? En jouant sur tous les outils que possède le cinéma, et en évitant au possible le théâtre filmé, même si l'univers de Mouret est très (et parfois trop) dialogué. Ces mots qui sont dits avec beaucoup de malice, et le sourire de celui et de celle qui trompent l'autre, sont ici exposés dans un écrin qui n'en fait pas son graal. À l'image de ce premier plan, le réalisateur va jouer constamment avec le hors-champ, les apparitions et disparitions des comédiens, les vrilles à l'intérieur du cadre, l'ellipse aussi, pour évoquer cette passion et ce désir de l'autre qui s'en va et puis qui revient, l'absence et le manque, pour raconter son histoire de manière vive et emballante.
L'univers montré enthousiasme par cette nature luxuriante, fraîche et verte, qui invitent aux promenades et aux discours amoureux. Les costumes sont nets, propres, un artifice théâtral pop qui fait ressortir à merveille la panoplie d'émotions parcourant le visage de Cécile de France, d'Alice Isaaz, de Laure Calamy et des autres comédien.ne.s. Toutes ces femmes traversent des salles et des pièces de noble, de château, de décors fastes qui ne sentent pas la naphtaline mais vivent sous nos yeux, qu'on arrange en permanence avec des bouquets de fleurs.
Le film se déploie autour de ces êtres fuyant l'amour avant d'être attrapés par cette glu qui faire perdre la tête, pour le meilleur et pour le pire. Mademoiselle de Joncquières est un film plus beau formellement que Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait, avec de réels plans de cinéma. Mais cette beauté formelle est contrebalancée par une ambition moins grande sur le fond. Ici, on ne cherche pas à définir ce qu'est vraiment l'amour, ou comment aimer, mais l'on se concentre sur ce marivaudage et cette manipulation des sentiments, tout en légèreté, sans violence passionnelle, très agréable à regarder.
Nous ne sortons pas de la séance avec une foule de questions en tête sur notre façon à nous d'aimer. Non, nous sortons de là avec un sourire au lèvre, heureux d'avoir passé 1h40 à écouter ces conversations charmantes et les dégâts superficiels de l'amour, avant d'être soudainement bouleversé par ce dernier plan : et soudain, c'est le drame. La fragilité humaine et la futilité de l'histoire sont mises à nu par le talent de Cécile de France.