Pourquoi tant de haine ? Parce que ce n'est pas un film d'horreur ? Alors oui, Magic Magic a été vaguement vendu sur une imagerie de slasher légèrement surnaturel, et il faut dire que le pitch de départ va dans ce sens. Cela dit, Sebastian Silva n'est pas responsable de la manière dont les distributeurs tentent désespérément d'attirer le public vers un film sans vedettes bankables. En réalité, Magic Magic crée sa propre identité trouble, et se moque justement des codes de l'horreur, manipulant avec malice les a priori des spectateurs conditionnés par des décennies de pellicules horrifiques. On va ainsi naturellement se méfier de Brink avec son humour de détraqué et sa sexualité ambiguë, d'Agustin et son air trop sympa donc trop louche, ainsi que de Barbara qui semble avoir le seum contre Alicia. Comme si l'on cherchait d'instinct à établir un clivage gentils/méchants.
Et c'est là toute l'ingéniosité de Silva, partir de peurs qui nous sont familières pour nous faire accrocher au personnage d'Alicia et nous faire comprendre sa lente et inéluctable descente vers les abîmes de l'angoisse et de la paranoïa, vers la honte et la haine de soi. Le tout avec une vraie finesse d'écriture qui s'écarte de tous les lieux communs. C'est ainsi de la normalité de ses personnages que nait l'ambiguïté, c'est parce que le film confronte des êtres ordinaires à une situation inattendue qu'il parvient à explorer des enjeux psychologiques complexes et fascinants. Ce qui paradoxalement a pu rebuter ceux qui s'attendaient à ce que le film exploite des pistes lorgnant vers le fantastique ou le surnaturel.
Réellement anxiogène, captivant de bout en bout, loin d'être aussi nébuleux qu'on le dit, sans pour autant limiter le champ de ses interprétations, Magic Magic révèle un auteur de talent qui sait immiscer du sens dans ses cadrages tout en évitant de verser dans le pompeux ou le trop-plein graphique. A l'évidence, on a également affaire à un vrai directeur d'acteurs, capable de tirer le meilleur de la - décidément - magistrale et sous-estimée Juno Temple, d'Emily Browning, et même de Michael Cera (c'est dire). Sans oublier une exploitation judicieuse des paysages lacustres chiliens, magnifiés par la caméra de Christopher Doyle.