C'est désormais un rituel : tous les ans, l'on attend le nouveau Woody Allen. Avec la même excitation, tout en sachant que la qualité varie en fonction des années et que toutes ne sont pas également prolifiques. En 2014, Magic in the Moonlight est impeccable.

Le même générique apparaît comme à son habitude au début du film, en caractères classiques et sur fond de jazz : de ce côté-ci, rien n'a changé. Woody fait du Woody et c'en est presque rassurant. Bien sûr, et comme à son habitude, le cinéaste new-yorkais parle de lui, surtout de lui. De ses interrogations, de ses doutes, de ses méditations : tout le spectre philosophique allenien y est passé au crible. Et son constat est à peu près toujours le même : on va tous crever, quoi qu'il arrive (géniale réplique de Colin Firth : "Même l'humain qui n'a jamais commis de meurtre est condamné à mort"). Son nihilisme et son fatalisme s'épanouissant au fur et à mesure qu'il vieillit, la véhémence de son regard envers l'humanité ne peut donc que croître, preuve en est le gigantesque réquisitoire Blue Jasmine, sorti en 2013.

Sa caméra plonge donc dans les années folles et officie cette fois dans le milieu bourgeois du Sud de la France, sublimement photographié, aux couleurs chaudes et vives ; suscitant un étonnant contraste entre cette chaleur tendre de son cadre et la noirceur irrévocable de son propos. Il faut alors l'arrivée du magicien-scientifique Stanley Crawford, campé par l'excellent Colin Firth, pour adosser un peu de rationalité à tout ce beau monde. Son personnage, dogmatique au possible, est parfait, ses sarcasmes sont exquis, mais c'est surtout lorsqu'Allen s'empare du rôle que le comique officie le mieux. Une phrase prononcée par un autre en dit long : "Il est dépressif. Je l'aime bien" et pose cette éternelle question du cynisme ou de la rationalité.

Assurément, c'est lorsqu'Emma Stone débarque à l'écran que le réalisateur se porte le mieux : il la filme amoureusement, à l'image de ses précédentes actrices fétiches Diane Keaton ou Scarlett Johansson. Elle magnifie littéralement l'espace qui lui est réservé, transcende son personnage et son affrontement avec Firth donne rapidement lieu à des dialogues comiques ultra-efficaces, preuve s'il en fallait que l'on peut garder le même sens aigu de l'écriture plus de quarante ans après ses débuts. Il en est dingue et il a de quoi, l'habillant à sa guise et mettant parfaitement en exergue ses immenses yeux.

Au final, c'est bien la philosophie d'Allen qui semble avoir gagné, son matérialisme et son pessimisme ambiant avec lui. Soudainement, le film empreinte un chemin tout à fait inattendu et le personnage de Colin Firth tente en vain un acte éperdu ; mais il semble déjà trop tard, sa chance (là aussi un sujet récurrent) est déjà passée et s'est envolée quelques scènes en arrière... à moins que ? La magie ? La réalité ? Le plan final laisse planer l’ambiguïté et promet tout autant la fin heureuse que l'énième duperie. Nous procurer un sourire si grand lorsque que sa morale est si critique : voilà le vrai tour de magie de Magic in the Moonlight, où l'amour n'est possible que lorsqu'il implique envoûtement, mirages et illusions.
critikapab
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2014

Créée

le 28 oct. 2014

Critique lue 293 fois

4 j'aime

critikapab

Écrit par

Critique lue 293 fois

4

D'autres avis sur Magic in the Moonlight

Magic in the Moonlight
Docteur_Jivago
6

Illusion magique

D'une ponctualité à toute épreuve, Woody Allen garde son rythme d'un film par an, ici son 43ème. Nous emmenant durant les années 1920 dans le sud de la France, il nous entraîne dans l'histoire d'un...

le 23 oct. 2014

51 j'aime

23

Magic in the Moonlight
EvyNadler
6

Je ne vous jette pas la pierre, Emma.

Je me lance Woody Allen et je sais d'avance que je vais voir un petit film. Je suis un abruti, un pessimiste, un peu comme le personnage de Colin Firth, héros du film, magicien désenchanté qui ne...

le 5 déc. 2014

40 j'aime

2

Magic in the Moonlight
pphf
6

Sors de ce corps, Gérard Majax

Je n’y crois pas du tout – j’y crois – je n’y crois pas – je n’y crois pas du tout – J’y crois … L’intrigue est plus que légère. Un illusionniste réputé, à la demande d’un collègue déboussolé,...

Par

le 26 oct. 2014

31 j'aime

4

Du même critique

Interstellar
critikapab
10

InterCeption

Ma critique ne contient pas de spoilers majeurs. Cependant, si vous n’avez pas vu le film, je vous recommande fortement de ne lire la critique qu’après votre séance ; votre expérience sera d’autant...

le 31 oct. 2014

11 j'aime

2

Her
critikapab
10

"I love the way you look at the world"

Un grand silence. 30 secondes de regard vide. Et les lumières qui se rallument. Voilà ce qu'il faut, au mieux, pour revenir à la réalité. Car après l’époustouflant voyage qu'on vient de vivre,...

le 20 mars 2014

10 j'aime

Une merveilleuse histoire du temps
critikapab
4

Grande histoire, petit film

Lorsque l'on consulte la fiche Allociné d'Une merveilleuse histoire du temps et que l'on s'aperçoit qu'une majorité d'acteurs ont pour portrait un carré gris (sauf pour un acteur français totalement...

le 21 janv. 2015

9 j'aime