En ces temps humides, alors que l'automne prend d'assaut la ville et la recouvre d'un voile de triste brouillard, et que les décorations de Noël commencent déjà à être installées (ewi, Strasbourg oblige...), il fallait occuper ces courtes vacances de Toussaint par une petite bulle de bonne humeur. C'est ainsi qu'une amie (qui sera interprétée par Mufasa pour respecter son anonymat) m'a proposé un ptit film dans la soirée. Au pif, la main du destin a désigné le dernier Woody Allen - il faut dire aussi que c'était le seul à l'horaire favorable pour un tarif réduit. Et que votre serviteur(euse ?) a sauté comme une puce dans la crinière de sa copine en voyant Colin Firth à l'affiche, acteur auquel elle voue un culte depuis "A Single Man". En résumé, la conversation ressemblait à ça :
(Kogepan) - ColinFirthColinFirthColinFirthColinFirthColinFirthcoincoinFirthColinFirth !
(Mufasa) - Groooaaa.
Chevauchant nos fidèles montures - nos vélos - nous avons donc fièrement parcouru le petit kilomètre nous séparant du cinéma, descendant gracieusement - les membres raidis et les doigts gourds - pour acheter nos places - la main accrochée au billet en espérant que la madame de la caisse oublierait de nous faire payer.
Un peu d'attente, quelques bande-annonces, trop de pubs, et enfin le film commence.
Pour être honnête je n'avais aucune attente particulière envers ce film, n'ayant vu aucun extrait/commentaire sur ce dernier Woody Allen, et n'étant ni fanissime ni détractrice du réalisateur. Le rythme m'a beaucoup plu, calqué sur la lenteur reposante d'une journée de vacances estivales au bord de la Méditerranée. On sent que le bonhomme s'est fait plaisir avec un film sans ambition démesurée, filmant les paysages pour leur lumière et leurs couleurs, prenant le temps de poser une atmosphère chaude et tranquille, présentant les personnages par des dialogues rythmés de cigarettes et de verres de brandy.
Élégant, talentueux, ironique et arrogant, le personnage de Stanley Crawford est absolument imbuvable et en même temps extrêmement sympathique. Sceptique dans un univers de pauvres hères qui veulent croire à tout et n'importe quoi, il représente le dernier rempart logique contre la menace que représente la jeune et jolie Sophie Baker, la fameuse medium. Mais venu pour la démasquer, il finit par tomber dans son piège. Son nihilisme s'effondre comme un château de carte, lui faisant prendre conscience de toutes les petites beautés du monde auprès desquelles il est passé sans les voir toutes ces années, engoncé qu'il était dans son armure de dédain incrédule. Et le pauvre idiot pense que tout cela, c'est à cause du monde des esprits...
Le talent de ce film réside pour moi dans la capacité de Woody Allen à suggérer au spectateur qu'il a dès le départ toutes les cartes en mains pour comprendre le sens du film avant les personnages. Mon fauve et moi nous doutions bien dès le départ que le magicien et la medium tomberaient dans les bras l'un de l'autre. Mais l'intérêt se situe dans la subtilité avec laquelle les sentiments naissent et se déploient dans le regard et le sourire de Sophie - et de Stanley évidemment, mais pour lui c'est un peu plus compliqué, faut dire que c'est un homme. Ses efforts pour plaire toujours plus à Crawford (elle se met à lire, défie Stanley pour voir jusqu'où il la suivra, apparaît au bal dans la robe la plus sexy du Sud de la France) se heurte à l'adoration que le magicien lui porte ; mais pas par amour, par respect. Arg. S'il y a bien une chose désolante pour une jeune femme gaie comme Sophie, c'est d'être élevée au rang d'idole au lieu d'être simplement aimée pour sa personnalité simple et joyeuse.
On peut reprocher au film de ne rien raconter. Retenant mon lion pour qu'il ne croque pas quelques têtes, je réponds que les retournements de situation existent bel et bien, mais se situent évidemment moins dans les actes que dans les sentiments, que le sceptique, comme tout idiot, n'arrive pas à interpréter. L'analyste critique pense trop pour concevoir l'amour dans tout son hasard et son absurdité : comment un homme comme lui pourrait-il tomber amoureux d'une jeune femme comme Sophie ? En cela la scène finale avec la vieille tante est un bijou de jeux d'acteurs et de subtilité rhétorique.
En vérité ce film peut paraître assez sombre. Le héros est un homme mûr, pessimiste, revenu de tout. Bref, très malheureux. Mais Woody Allen est un vieux bonhomme malin qui, même s'il nous le fait croire assez facilement à la moitié du film, sait que l'optimisme forcé n'est pas une solution dans notre monde trop plein d'être humains. L'amour, éventuellement, est un baume pour une âme attristée. Entre deux airs de jazz, Woody Allen nous offre un film simple, élégant, qui sonde les âmes et les croyances. Le message est certes assez banal, mais le chemin pour l'atteindre est habilement préparé, déployé comme un tapis rouge vers un bonheur tout bête, mais honnête et vrai.
C'est ainsi qu'après le générique de fin, alors que le cinéma fermait tranquillement et que la ville s'enfonçait dans une nuit épaisse et confortable, requinquées, la banane aux lèvres et l'écharpe autour du nez, Mufasa et moi avons repris le chemin de nos pénates. Ravies de cette bonne surprise cinématographique, des acteurs et des personnages attachants et humains, du soleil dont nous avons gorgé nos yeux pendant deux heures. Et du sentiment que, après tout, ça ne va pas si mal.
Un film approved by my lion.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.