"How to turn a woman friend into a sperm receptacle"

Magnolia est le troisième film de Paul Thomas Anderson, il succède au très remarqué et excellent Boogie Nights, qui nous plongeait dans le monde du porno des années 70-80 et que je recommande chaudement (porno, chaudement, vous l'avez ? :P).


Magnolia fait partie de ces films qu'il faut visionner plusieurs fois pour en saisir tous les enjeux, toute leur portée. J'écris cette critique à l'occasion de mon second visionnage, sachant que la première fois il m'avait beaucoup plu mais que ne lui avais pas accordé la note maximale.


Je voudrais tout d'abord saluer le génie de Paul Thomas Anderson (que je vais surnommer PTA à partir de maintenant) pour avoir écrit un tel scénario et réussi à connecter toutes les histoires. Car en effet, ce métrage est un film choral, c'est à dire qu'il ne suit pas un seul mais une multitude de personnages aux destins croisés mais qui ne se croisent pas forcément. Et surtout, parmi les principaux, il n'y en a pas un plus important qu'un autre, et le film passe de l'un à l'autre tout au long de sa narration. Si vous ne voyez pas ce que je veux dire, voici un exemple représentatif du genre choral : Love Actually, que tout le monde connait, ou encore la série Game of Thrones. C'est plus clair, maintenant ?


Bon, c'est bien tout ça mais de quoi parle ce film concrètement ? Il serait bien téméraire et vain d'essayer de résumer Magnolia, mais voici ma tentative de synopsis : C'est l'histoire de deux vieillards qui sont gravement malades, voire sur le point de mourir pour l'un d'entre eux, et qui souhaitent profiter de cette occasion morbide pour renouer avec leur enfant avec qui les relations sont brouillées. Le premier est un riche magnat de la presse, Earl de son prénom, marié à une femme beaucoup plus jeune que lui, Linda, interprétée par Julianne Moore (décidément très douée pour jouer les femmes torturées, j'y reviendrai). Il charge son infirmier personnel (Philip Seymour Hoffmann) de retrouver son fils, Frank (Tom Cruise) qui est devenu un coach en séduction reconnu et qui anime des conférences. L'autre vieillard est un présentateur télé très connu, Jimmy Gator, qui anime une émission de culture générale qui oppose des adultes à des enfants. Il débarque dans l'appartement de sa fille Claudia pour lui annoncer son cancer mais celle-ci le rejette violemment, on ne sait pas pourquoi au début du film mais on soupçonne un passé trouble entre eux deux. Celle-ci se drogue régulièrement et enchaîne les coups d'un soir. Autour de ce noyau gravitent d'autres personnages qui sont également centraux et qui sont reliés à l'un des personnages de ce noyau d'une manière ou d'une autre : Donnie, un has been ancienne gloire de l'émission présentée par Jimmy Gator qui peine à exister depuis et se raccroche sans cesse à son passé glorieux ("I used to be smart", répète-t-il sans arrêt). Sauf qu'aujourd'hui il veut absolument se payer un appareil dentaire pour plaire à un homme mais s'est fait renvoyer de son boulot. Il y a aussi Stanley, un petit garçon qui est un véritable génie et qui participe aujourd'hui à l'émission et Jim un policier qui aime son métier mais qui souhaiterait surtout trouver l'amour.


Voilà, je pense avoir planté le décor correctement, et surtout sans dévoiler des éléments importants de l'intrigue. Ce n'est pas clair d'emblée, mais on se rend compte assez vite que tous ces personnages vont être reliés par la magie du scénario et le génie de PTA, ce ne sont pas des histoires indépendantes. Réussir à connecter tout ce monde là tout en restant cohérent démontre vraiment le talent de PTA et sa totale maîtrise du genre choral, surtout que c'est fait avec brio, cela ne paraît jamais artificiel ou forcé. De plus, toutes les histoires sont plus intéressantes les unes que les autres, et il n'y en a aucune que j'ai préférée tant je les ai toutes aimées. Avec un film aussi riche et diversifié, tout le monde peut y trouver son compte.


[Attention, possibles spoilers à partir de cette partie de la critique]


C'est un film triste, il y a peu de place réservée à l'humour. Ainsi, voir Earl allongé sur son lit de mort, la terrible souffrance psychologique de son épouse, ou le présentateur Jimmy flancher en plein milieu de l'émission fait particulièrement mal au coeur. Mais malgré la dureté du sujet (la maladie), ce n'est pas un film qui nous plombe le moral à la manière d'un Alabama Monroe, et il se finit même sur un sourire et une note d'espoir. Les thèmes explorés sont variés : les regrets, l'impossibilité du pardon, l'adultère et la rédemption, mais surtout l'amour qui occupe une place centrale à côté de la maladie. L'amour de Linda pour Earl, l'histoire d'amour entre Jim le flic et Claudia, particulièrement touchante, tant le moment de leur rencontre n'y est pas propice et assez improbable, et tant elle réunit deux personnages qui ne méritent que ça, et enfin l'amour de Donnie pour Brad le barman (et auquel il déclare sa flamme après avoir trop bu).


Les personnages évoluent et tentent de s'en sortir malgré les épreuves traversées mais pour certains le poids du passé est trop lourd à porter. Ainsi, Frank accepte de rencontrer son père mais l'insulte de tous les noms et est incapable de lui pardonner ce qu'il lui a fait subir, Claudia éprouve de grosses difficultés à tirer un trait sur l'agression de son père et semble incapable d'aimer à nouveau. Linda, elle, évolue dans le bon sens, puisqu'elle se rend compte qu'elle aime vraiment Earl alors qu'à la base elle l'avait épousé pour son argent et du coup souhaite même renoncer à l'héritage. Sauf que c'est trop tard.


La maladie et l'amour sont donc les éléments centraux et sont étroitement liés, au point que Donnie confonde l'amour avec la maladie, selon ses propres dires. Le personnage de Tom Cruise tranche franchement avec ce constat romantique car il est un coach en séduction particulièrement machiste, en témoignent les thèmes de ses conférences : "Comment transformer une simple amie en réceptacle à sperme" ou "Faire croire qu'on est gentil et attentionné". Ca vous pose le décor direct.


Au fur et à mesure de ses films, PTA impose son style et s'affirme comme l'un des tous meilleurs cinéastes de sa génération. Son style de réalisation est tout simplement remarquable, il sait très bien l'adapter en fonction de son sujet et dans ce film il nous offre un condensé de tout ce qu'il sait faire, avec notamment l'utilisation de travellings et de plans-séquences mais sans en abuser comme dans Boogie Nights.


La bande originale est exceptionnelle, omniprésente et se marie parfaitement à ce qu'on voit à l'écran. Elle sait également se faire discrète aux moments les plus graves, je pense notamment au monologue d'Earl sur les regrets, particulièrement marquant, nous offrant de longues minutes de silence mis à part sa voix d'homme mourant. S'ensuit une scène où on voit chaque personnage fredonner la même musique triste à tour de rôle, chacun à leur endroit, c'est juste magnifique et très émouvant. Je retiendrai aussi les deux morceaux de Supertramp dont la chanson "Goodbye Stranger", accompagnant la rencontre de Donnie avec le barman. La mise en scène de cette rencontre est remarquable et très représentative du talent de PTA, avec l'emploi du plan-séquence et des mouvements de caméra qui se marient parfaitement à la musique. Mention spéciale à la chanson du générique de fin également, Save Me d'Aimee Mann, qui a été nominée aux Oscars.


Le film se conclut sur le sourire de Claudia et sa supposée acceptation de sa romance avec Jim, preuve que les épreuves que les héros ont traversées n'ont pas été vaines : Donnie a compris l'inutilité de sa quête, Claudia est prête à entamer un nouveau départ.


Pour conclure, cette pluie de grenouilles à la fin, je trouve ça extrêmement poétique, ça apporte une dose d'étrangeté au film, c'est très cinégénique et surtout c'est une manière maline d'imprimer ce film dans la mémoire collective car beaucoup de personnes se rappellent du film pour cette scène, mais c'est bien dommage car tout ce qui s'est passé avant est tout aussi incroyable.

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le 21 juin 2017

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Albiche

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