Comment débuter la critique ou l’analyse d’un film doté d’une telle densité ? Je pense que je débuterai dans un premier temps par l'aspect technique du film, puis certaines généralités sans m'avancer dans le spoil, avant de me plonger dans une observation plus détaillée de quelques concepts exhaustivement sélectionnés.


Tout d'abord donc, l’animation semble tout simplement parfaite, ou presque, avec en point d’orgue un combat gigantesque mettant en scène certaines protagonistes, ce dernier ayant sûrement du requérir beaucoup de labeur compte-tenu de sa vitesse, de sa nervosité, et de son rendu visuel plutôt impressionnant. Cependant, outre l’animation, l’on retrouve la qualité irréprochable de la photographie SHAFTienne, avec un traitement de l’image, des couleurs et des lumières de haute volée.


Les musiques m’ont paru particulièrement réussies, comme souvent avec Kajiura Yuki. Il y a certes une reprise plus ou moins importante de thèmes composés initialement, mais je pense qu’il s’agit davantage d’une qualité qu’un défaut, puisqu'ils forgent l'identité de la série. La résurgence du thème d’Homura à un moment particulier s’avère notamment loin d’être dénuée d’intérêt ! La majorité des OST semble sinon avoir a été renouvelée, et leur qualité ne fait aucunement défaut. Ils sont parfois moins invasifs, mais certains font toujours autant d’effet, tout particulièrement lorsqu’ils viennent en soutient de moments-clés à la réalisation irréprochable.


Qui plus est, et non des moindres, la dimension artistique de Madoka s’en trouve magnifiée de par le support cinématographique. Le rendu recherché et psychédélique que l’on pouvait retrouver dans le monde des sorcières est non seulement plus beau, mais ne se résume plus aux seuls décors, s’invitant également avec habileté dans d’autres types de scènes. La transformation très travaillée de chaque Mahou Shuoujo ne sera qu’un exemple parmi d’autres, ou dans certaines scènes d’action.


Enfin, cette suite apparaît comme la continuité naturelle de la série télévisée, et ne semble en aucun cas renvoyer l'image d'un quelconque raccrochage artificiel, ou d'une poursuite purement marketing à des fins uniquement commerciales. Il existe de fortes chances pour que le scénario de Madoka Rebellion ait été pensé en amont, dès la création du projet initial, ce qui lui confère la plus grande justesse possible. Hypothèse pouvant être corroborée par une déclaration de Gen Urobuchi, qui avançait relativement tôt détenir des pistes précises vers où orienter la série, si le succès permettait de la prolonger.


A présent, il convient de s’intéresser au cœur du film, ce qui est non seulement la partie la plus intéressante, mais également la plus redoutable. C’est pourquoi je commencerai avec mon point de vue global, que je tenterai fébrilement de développer ensuite, compte-tenu de la démesure du propos véhiculé. Pour être concret, il sévit une symbolique de tous les instants, dans la mise en scène bien entendu, et le propos, que je l’illustrerai dans les lignes suivantes, ainsi qu'une dimension psychologico-philosophique toute aussi démentielle que maîtrisée. Les analogies avec Evangelion deviennent naturelles et s’avèrent logiques, mais outre la différence du propos, Madoka Rebellion élève la barre bien plus haut. Sa dimension artistique et métaphorique, à laquelle la réflexion est combinée, auxquels s'ajoutent les considérations relatives à la nature SF de la série (Physique, mondes alternatifs etc...) surpassent Evangelion, et bien d'autres encore.


Je vais à présent rentrer dans l'analyse de certains éléments me paraissant des plus pertinents. Je ne reviendrai pas forcément sur le déroulement du film en lui-même, qui s'il peut éventuellement sembler abstrait, s'avère en définitive tout à fait compréhensible après réflexion et les concepts "magico-scientifiques" réintégrés, à l'exception de la fin pouvant laisser matière à interprétation. Personnellement, je pense qu'il s'agit d'ailleurs d'un dénouement tranché, et c'est pourquoi je reviendrai tout de même dessus. Les lignes suivantes contiennent donc du SPOIL.




L'un des moments où tout bascule d'un point de vue intellectuel, n’est autre que la référence à la compulsion de répétition de Freud, lors des premiers « Fort Da » qui retentissent. Le besoin de répéter suite à un échec de la remémoration. C’est précisément ce qui s’applique à Homura, qui outre la répétition de ses voyages dans le temps au cours de la série, qui n’ont fait qu’attacher davantage de fils du Destin à Madoka (incapacité à couper le "cordon" avec la "Mère"), cherche après altération de sa mémoire à retrouver une vérité qu’elle avait pourtant fuie, en créant son propre monde d’auto-isolation où elle vivait heureuse (même si en amont, elle a peut-être pu envisager la corruption de sa Soul Gem pour faire revenir Madoka). Ceci soulève par ailleurs tout le paradoxe entre l’obsession de la quête de la vérité chez l’Homme, et son désir de l’oublier une fois celle-ci découverte. Toujours dans la dimension Freudienne, l’on retrouve l’image de la bobine lors de l’évolution de la Soul Gem d’Homura, de même que le nom de « Bebe » pour le familier accompagnant Mami. C’est une référence au petit-fils de Freud, qui jouait avec une bobine, un diabolo, et qui prononçait « bébé » lors du retour de sa mère, au travers duquel Freud a élaboré cette théorie.


Je ne voudrais pas divaguer, mais le retour de la bobine après avoir été lancée, semble correspondre dans la conception Freudienne au retour de la mère. Or la bobine fait justement son apparition au moment où il y a absorption par Homura de Madoka sous forme de déesse. « Dieu est mort », mais je reviendrai plus tard sur la connotation Nietzschéenne, c’est surtout qu’il y a une dimension où Homura s’avère symboliquement la fille de Madoka, qui revêt une position maternelle. D’ailleurs, celle-ci la prend souvent dans ses bras, lui refait ses tresses, ce sont là des gestes d’une mère envers sa fille, qui renvoient sûrement délibérément à la théorie Freudienne (avec la régression d'Homura vers un stade antérieur, celui représenté par ses tresses et ses lunettes). Le jeu de la bobine représente la quête de l’enfant poursuivant l’absence de sa mère, et c’est bien la situation dans laquelle se trouve Homura, souffrant de celle de Madoka.


A noter que le rapport semble inversé au regard de la série, où initialement, Madoka reflétait davantage l’inexpérience, et celle qui n’a pas les clés pour affronter la réalité, tandis qu’Homura s’érigeait en gardienne, celle qui représentait l’adulte. Cela vient naturellement corroborer toute la dialectique des idées de cycles, comme celui des Mahou Shoujos devenant sorcières, et le principe du Cercle (évoquant l'Eternel Retour chez Nietzsche), si cher à la franchise, avec notamment cette inversion qui se retrouve entre le début de la série et la fin du film, lorsque Homura était la nouvelle venue, et enfin Madoka dans le dénouement, se retrouvant alors à son tour dans une place identique.


Cette théorie Freudienne, au niveau métapsychologique, englobe également un « principe de réalité » et un « principe de plaisir ». Le premier renvoie à la capacité d’ajourner ses pulsions, par opposition au second qui souligne l’incapacité à admettre l’existence d’une réalité insatisfaisante. C’est ce qui se retrouve dans la terminologie employée par Homura, opposant « Ordre » à « Désir ». Madoka représente le principe de réalité, tandis qu’Homura, par son égoïsme, finit par incarner le principe de plaisir. De nouveau, Madoka est la mère, et Homura l’enfant, incapable de lâcher prise, comme dans la série. A noter que Freud identifie aussi le « Principe de Nirvana », qui pourrait correspondre à Madoka, mais cette fois-ci en tant que déesse.


Venons-en à présent à la dimension Nietzschéenne du film. Celle-ci se révèle explicitement au retentissement d’une nouvelle citation, « Dieu est mort ». Cette dernière est également illustrée par la double-symbolique de la Vierge Marie qui nous est présentée, qui renvoie directement à la théorie originale comprenant le christianisme comme nihiliste, et bien évidemment à Madoka elle-même, qui était Dieu, mais qui a perdu ses pouvoirs. Comme j’ai pu le mentionner plus tôt, l’analogie est d’autant plus forte que Madoka est donc comme la Vierge, une mère métaphorique.


Dans le « Gai Savoir », il est écrit « Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau », ce qui correspondrait à l’étape de la déchéance de Madoka, exempte de ses pouvoirs suite aux manœuvres d'Homura. Puis « Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux », renvoyant à sa décision de finalement incarner elle-même le divin. Dans le « Crépuscule des Idoles », il devient dès lors question de la toute-puissance de la volonté individuelle, qualifiée de « Vouloir » et de « Je veux » dans « Ainsi parlait Zarathoustra » (par opposition au « Tu dois »), faisant habilement écho au principe de plaisir et au désir mentionnés précédemment. D’où l’incarnation en tant que Diable, représentant la tentation, et faisant fi de la réalité, finissant par tendre chez Homura vers le solipsisme.


J’employais plus tôt le terme « égoïsme », mais il s’agit en réalité bien plus que cela, tellement il prend alors de grandes proportions. Conformément à la définition du concept, seul l'ego devient donc tenu pour assurément existant, et le monde extérieur avec ses habitants n'existe dans cette optique que comme une représentation hypothétique, et ne peut donc pas être considéré, sans abus de langage, autrement que comme incertain. Cela représente parfaitement l’état du monde isolé qu’Homura avait finit par bâtir, de même que les dérives de son comportement et la réécriture universelle qu'elle va engendrer.


Lorsque l'on observe la philosophie sous-tendant la série et le film, il est en grande partie question de la volonté individuelle et du désir, et de leur nature "divine", c'est à dire le progrès que ces derniers ont engendré, sinon nous "vivrions encore dans des grottes" comme disait Kyubey (qui symbolise aussi le miracle accompli par le désir et la volonté d'un humain, exprimés par son souhait), et leur capacité dans la série, à résorber l'entropie dans l'univers. Le rôle du divin dans Madoka occupe essentiellement une place de miroir à l'être humain, à ses sentiments et à sa volonté, et non dans une dimension religieuse, bien que des symboles comme la fresque de Michel-Ange dans le bar à la fin de la série, ou la Vierge Marie illustrent le propos.


C'est pourquoi il y a une référence à Nietzsche, et à ce qu'il peut dire dans le Gai Savoir, le Crépuscule des idoles, ou la Volonté de Puissance. La déchéance de Dieu est tant celle de Madoka, que le triomphe de la volonté individuelle et de l'Homme lui-même, qui devient "Dieu". C'est ce qui se passe avec Homura. Il fallait alors un catalyseur de cette symbolique, pour la rendre effective dans le film. Celui-ci est alors la corruption sans précédent de la Soul Gem d'Homura, qui dépasse largement la seule souillure de la sorcière pour revêtir une forme unique. Formulé simplement, ses émotions et son désir ont atteint une puissance magique divine, opposée à celle que représente Madoka.


Il y aurait tellement d’autres choses à dire, mais pour être honnête, le flux d’informations est tel, et la symbolique omniprésente, tant visuellement que dans les concepts, comme j’ai pu l’illustrer jusqu’à présent, que ce serait du suicide que de se lancer dans une exploration encore plus extensive, tellement ce serait fastidieux. De nombreuses scènes pourraient être décortiquées une à une (Homura et la citrouille renvoyant à la légende de Jack O'Lantern, les transformations, celles dans le champ de fleurs et dans le pré, la confrontation entre Kyubey et Homura etc.), et ce qui peut sembler aléatoire ou cryptique n'est en réalité que la conséquence d'un travail savamment réfléchi de mise en scène, avec une finalité précise. Je vais donc directement en venir au mot de la fin et à mon interprétation du final.


Il y a selon moi la prévalence du statu quo, comme la série s’est toujours attachée à le faire, avec cette idée d’équilibre entre espoir et désespoir, le jeu entre l’Ombre et la Lumière, omniprésent depuis la série, et cristallisé à travers cette lune mi-claire et mi-sombre que l’on voit à la fin. Homura, en rendant ses rubans à Madoka, accepte par ce geste sa réponse à la question qu’elle lui avait posée, et la cohabitation de l’Ordre avec le Désir. Cette dernière est inscrite dans l'équilibre universel, et sous-tend les tensions inhérentes à chacun d'entre nous. Madoka et Homura représentent au final le versant d’une même pièce, celle de ces "mouvances" de l'Humanité, qu'elle a souvent cherché à représenter, chacune des héroïnes ayant de surcroît acquis un rang divin (Dieu - Diable - Yin - Yang - Ordre - Désir etc...). La conclusion s'attache ainsi à mettre en évidence une absence de manichéisme, rien n'étant tout blanc ou tout noir.


Le final présente par exemple Sayaka en opposition avec Homura, souffrant en voyant Hitomi et Kamijo, avant de jouer sous la pluie aux côtés de Kyôko qui jadis était son ennemie (ce qui renvoie à la figure cyclique), les deux n'ayant jusque là jamais eu la chance d'être heureuses ensemble après s'être réconciliées. Il en va de même pour Madoka, arborant un sourire éclatant avec son petit frère au sein d'une famille heureuse, tandis que Mami attrape au vol toutes les boîtes allant tomber sur la tête de Nagisa, avec qui elle est enfin réunie (plus que jamais, cette courte séquence traduit cette mouvance de la série, Nagisa en tant que sorcière étant celle qui avait décapité Mami). La pierre surplombant la ville avant le générique, semblant ressembler à un œil, rappelle peut-être que toutefois, Big Brother is watching them, et qu'un tel monde ne résulte que de la volonté d'Homura et de sacrifices. La scène finale où l'on voit Kyubey en peine pourrait également suggérer une revanche sur les Incubateurs, portant à leur tour le fardeau des souffrances de ce monde (de nouveau l'idée d'un renversement).


Sur une note plus accessoire, il est intéressant de relever les références à d’anciens Magical Girls, comme Sailor Moon bien entendu, mais surtout Princess Tutu, avec la dimension du ballet, et Homura en « Princesse Kraehe », le Cygne Noir, avec les plumes de corbeaux. Madoka serait donc rapprochable de Princess Tutu elle-même sur ce plan-là.

Phaedren
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le 23 nov. 2013

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