Aujourd’hui, destination Naples, où se trame toute une véritable partie d’échecs à la sauce politique que Francesco Rosi nous propose de découvrir dans le pas si connu mais pourtant digne de l’être Main basse sur la ville.


Avec un tel titre, le spectateur sait rapidement où en veut venir Francesco Rosi avec son film. Les premières minutes nous exposent l’échafaudage d’une immense transaction visant à racheter des terrains agricoles pour y construire des immeubles résidentiels. Puis le générique nous fait survoler Naples, immense, couverte d’énormes immeubles aussi uniformes qu’imposants. Cette jungle urbaine, vaste étendue bétonnée, va devenir le théâtre de jeux politiques complexes où une minorité d’hommes influents va sceller le destin de la population toute entière. Des jeux marqués et entraînés par des imprévus, comme l’écroulement d’une bâtisse qui fait des victimes. Qui est responsable ? Qui doit être au pouvoir ? Que faire ?


En se déroulant à quelques temps des élections municipales, en pleine période de campagne, Main basse sur la ville s’inscrit dans un contexte de fortes tensions politiques, exacerbant toutes les méfiances et les collusions qui peuvent caractériser le monde de la politique. Rapidement, quelques têtes d’affiche se distinguent, provenant d’horizons politiques divers, afin d’exposer des points de vue divergents et de proposer un tableau varié du monde politique italien. Il n’y a pas de héros dans Main basse sur la ville, pas de bons ni de mauvais, simplement une illustration de ce que peut engendrer la politique chez les individus et vis-à-vis du peuple, des frontières ténues entre pouvoirs économique et politique, évitant l’expression d’un point de vue biaisé pour privilégier l’observation intelligente.


Main basse sur la ville ne cherche pas non plus à se rapprocher d’un style documentaire. L’expression se fait par le langage cinématographique, par ce rythme soutenu, cette profusion de dialogues bardés de nombreux mots ayant attrait au jargon du milieu et pouvant échapper au spectateur profane. C’est la retranscription de toutes ces choses, souvent complexes, presque incompréhensibles, cette furie verbeuse virant à la cacophonie, afin que le spectateur ne fasse pas qu’écouter des débats, mais qu’il ressente bien toute cette complexité. Une complexité qui échappe également au peuple, très peu présent dans le film, trop peu considéré par ces dirigeants, qui ne savent que leur dire quand ils expriment leur colère, et qu’ils montrent bien qu’ils n’ont plus foi en ces hommes, quelle que soit leur étiquette. Pendant ce temps, les oligarques fortunés jouent avec cet argent dont ils ne savent plus que faire, qu’ils exposent et qu’ils utilisent pour toujours asseoir leur pouvoir un peu plus.


Le conflit entre intérêts personnels et communs, l’honnêteté intellectuelle, l’égocentrisme, la perversion de l’esprit par la soif de l’argent : Main basse sur la ville, s’il est surtout observateur, est certainement un film critique envers la classe politique italienne. Ces sujets passionnent depuis longtemps et doivent continuer à être traités, surtout lorsque le traitement proposé est judicieux et intelligent, comme dans le film de Francesco Rosi. Le cinéaste italien exploite l’intelligence cinématographique avec justesse pour qu’à la vision s’ajoute le ressenti, que l’oeuvre communique avec le spectateur malgré sa complexité certaine. C’est un film qui ne lâche pas le spectateur, qui passionne, qui révolte, et qui rappelle que les problèmes ici pointés du doigt existent depuis toujours, qu’ils existent encore, et qu’ils continueront d’exister, rendant ce type d’oeuvre toujours plus essentielle à notre patrimoine.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 2 juil. 2020

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