Malcolm & Marie
6.7
Malcolm & Marie

Film de Sam Levinson (2021)

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« Malcolm & Marie » ressemble à une banale parade filmique à la recherche de la légitimation artistique. Y défilent les références cinéphiles, l’autopsie mécanique d’un couple façonné par le narcissisme de ses deux moitiés, puis, pour couronner le tout, l’utilisation d’un noir et blanc cassavestesien labélisant d’emblée un « film salué par la critique » sur Netflix. Cela n’est pas sans ressembler à une charge antimoderne, à un film ciblant directement les milléniales, comme moi, à savoir ceux qui ont grandi dans une avalanche de textos, de storys, de selfies et de porno gratuit. Charge antimoderne puisque, non sans ironie, Sam Levinson, ici scénariste et réalisateur, nous embarque dans ce qui paraît une véhémente diatribe sur l’état du cinéma américain. Le Malcolm du titre est cinéaste, rentrant fraichement de son avant première où il aurait d’office été catégoriser comme « le nouveau Spike Lee ». En contre-champs, sa compagne, prétendument pleine de grâce, lui reproche de ne pas l’avoir remerciée, lui qui aurait puisé son inspiration dans sa vie, à elle. Le film observe ainsi ces deux particules se disputer théâtralement à huis-clos, non sans assumer pleinement la métaphore du confinement. Cependant, c’est également cette même détermination à se prendre mécaniquement au sérieux qui l’enraye dans sa démonstration. « Malcolm & Marie », d’un point de vue scénographique, papillonne : Levinson y est toujours à la recherche du bel effet, étouffant sa scénographie en l’envahissant de surcadrages et de reflets, conduisant, en plus du noir et blanc, à cette esthétisation outrancière et paresseuse. Le fait est cela pourrait être perçu comme une marque de conscience, le film s’attaquant vigoureusement à ses personnages désormais confrontés à un nouvel enjeu : la célébrité, cette dévoreuse d’hommes poussant à paraître plutôt qu’à être ! D’ailleurs, Malcolm n’a qu’une hâte : découvrir la critique de cette « femme blanche » l’ayant qualifié de « nouveau Spike Lee ». La séance de lecture commentée de ce texte, par Malcolm lui même, démarre à la manière d’un sketch, d’un stand-up pouvant aussi bien passé pour une improvisation de John David Washington. Sauf que rapidement, le monologue vire à la performance oratoire s’étirant sur dix bonnes minutes, et tout y passe : le néo-féminisme, « Autant en Emporte le Vent », la cancel culture, les représentations raciales… Bref, Levinson vide son sac, parfois en appelant directement au réel, comme lorsqu’il adresse des clins d’œil en forme de postillon à certains journalistes américains. Alors, certes, la démarche est sans doute louable, mais une dénonciation des tropismes ne fait pas un film. « Malcolm & Marie » ne cherche jamais à renverser ce qu’il dénonce, ne fait que rester en surface, s’avérant un film bien sage, très poli, du genre qui tient la porte en souriant tout en disant « merci ».


Non, le tropisme à renverser, ici, c’est Malcolm, justement. Alors qu’il déverse son énergie, sa compagne l’écoute, las. Le personnage est ainsi renvoyé à sa condition primaire : celle du mâle alpha se pavanant avec son spleen, dans sa belle villa nacrée et impersonnelle, à l’image de ce noir et blanc contaminant le film de toutes ces prétentions. Tellement consciencieux, Sam Levinson pousse plus loin le seuil de la mise en abyme : Marie, culotte et tétons pointants, revient sur une scène du film de son compagnon ou l’héroïne paraît seins nus de façon « gratuite », critiquant une érotisation outrancière de ce personnage… inspiré d’elle. Suivant ces personnages se renvoyant la balle au fil de leurs disputes incessantes, « Malcolm & Marie », joue ainsi au ping-pong entre les sujets qu’il représente et ce qu’eux représentent eux même dans leur film. Mais le fait qu’il soit conscient, voir même peut-être pensé pour être autant pathétique, nombriliste et cliché que ses personnages de bourgeois égoïstes, ne sauve pas le film de son cachet démonstratif : tout est surligné, exposé en pâture, translucide, laissant le récit imiter laborieusement le rythme d’une dispute conjugale où chaque propos se voit invalidé par le suivant. À titre de dispute, les acteurs, John David Washington et Zendaya, nagent dans le sur-jeu, dans un amas d’expressions surfaites laissant paraître ce que ce film est vraiment : un salon des vanités tirant sur des poncifs formels. Sinon, franchement, en quoi c’est nécessaire ce type de film ? Entre disputes, réalisation poseuse, premier degré incessant, d’autres disputes, réflexions éculées… Pour pousser encore plus loin le bouchon arty, Marie le dit très bien dès le début : « rien de constructif ne sera dit ce soir ! ». Bref, la logorrhée en vogue dans un film à l’image de son temps, en Vogue.

JoggingCapybara
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le 1 mars 2021

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