Souvenez-vous, juste après la sortie de son Alice au pays des merveilles (éreinté par beaucoup, apprécié par quelques autres dont je fais(ais?) partie), on annonçait Tim Burton aux commandes d'un remake en prises de vue réelles de la Belle au bois dormant, axé sur le personnage de Maléfique (Maleficent en anglais, fort joli mot). Quelques mois de buzz discret avaient tué le projet dans l'oeuf, qui a depuis été confié à un tâcheron et qui vient donc de débarquer dans nos salles, à grands renforts de communication médiatique intensive autour de son interprète principale, Angelina Jolie.

Je dois avouer que c'est elle la (seule?) grande qualité du film. Son physique, sa présence, sa beauté, ré-arrangés par les merveilles de quelques heures de maquillage quotidien semblaient tout indiqués pour incarner une des plus célèbres méchantes de Disney. Le problème est que le film qu'on nous présente aujourd'hui est toujours réalisé sous l'égide des studios Disney, et que le résultat s'en ressent fortement. Comprenez : nivellement par le bas, quelques effets "spooky" et une ambiance de temps en temps un peu sombre, mais un sentiment général plutôt niais, noyé sous la guimauve et la bien-pensance. Un pur objet calibré pour la famille - voir les enfants, que pas grand chose ici n'impressionnera.

Le problème majeur du film, c'est la pauvreté de son imaginaire. Qu'il soit féérique comme dans son prologue ou plus cauchemardesque lors du basculement de Maléfique vers la cruauté, rien de bien neuf dans le bestiaire ou dans l'environnement qui nous est (longuement) présenté. C'est simple, la grande usine à rêves hollywoodienne semble totalement radoter depuis quelques années maintenant (depuis Alice au pays des merveilles ?) dès lors qu'il s'agit de transposer un conte. Féerie devient synonyme systématique de couleur kitschounettes criardes (vert fluo principalement), de créatures laides en images de synthèse (privilégiez fées, lutins, elfes, et l'indispensable petit troll rabougri), et de points d'eau entourés de petites îles escarpées entre lesquelles le personnage ailé pourra zigzaguer à toute vitesse, en 3D s'il vous plaît. Merci Avatar, merci la Belle et la Bête, merci les Indesctructibles, etc. Jamais le mot imaginaire n'aura renvoyé à une telle aporie du côté de l'imagination, on ne fait que recycler des figures bien connues. Et le constat est le même pour les forces sombres : Ents-arbres vivants, dragons, végétaux vivants, corbeaux-espions polymorphes et batailles épiques. Bref on s'ennuie grave mais ça se laisse regarder, puisque l'on est habitué à de telles figures.

C'est mon gros bémol sur ce film paresseux, qui fait office de goutte faisant déborder le vase - j'aurais du craquer plus tôt. D'autant que certains plans sont vraiment réussis mais beaucoup trop court. Dès qu'on laisse la technique au second plan pour privilégier un peu de mise en scène, le film s'en tire bien. Maléfique volant au dessus des nuages dans une pose béate rappelant les gravures de Gustave Doré, ou bien sa silhouette décharnée et élégante se détachant de manière expressionniste sur un ciel au choix étoilé, rougeoyant ou telle une ombre mouvante sur un mur. Le film saisit plutôt bien le potentiel cinégénique de son personnage mais ce potentiel n'est jamais totalement exploité. Il aurait fallu plus de contemplation et de dramaturgie, moins d'ornementation vaine et un peu imbécile - mais là encore, on se heurte à un problème de formatage et de public visé.

Autre problème majeur du côté du scénario, qui s'efforce de vouloir revisiter le conte de Perrault et le film de Disney. Oubliez le premier, il est déjà bafoué dans le dessin animé et ici on ne s'en rapproche pas plus. Quant au deuxième, sa matière est comme condensée dans le tiers central du film, la fin est changée et on y ajoute un prologue un peu faiblard et attendu sur le passé de Maléfique. Cet effort relatif me laisse perplexe car j'en apprécie l'intention (humaniser son personnage, inverser le point de vue, voire ébaucher un discours critique envers le phallocentrisme du conte en faisant des hommes des lâches, des femmes des victimes fortes et rebelles) mais elle n'est jamais vraiment actualisée. La relation avec Stefan peine à convaincre à cause de situations cliché et expéditives, et les personnages masculins sont totalement sous écrits. Quant à l'enfance d'Aurore contrôlée de loin par la fée amère, elle manque d’ambiguïté et de caractère malsain et se retrouve parasitée par une écriture comique tout à fait vieillotte (syndrome reboot "la Belle et la Bête"). J'aime cependant la rédemption ratée de Maléfique et le petit soubresaut sur la résolution du charme (qui déjoue une attente ébauchée par le film et qui m'aurait franchement déplu). C'est peu, mais c'est déjà ça.

Enfin, il faut signaler une musique pompière mais pas inintéressante, qui joue trop peu du ballet de Tchaïkovski pour vraiment stimuler (il aurait fallu l'audace et le talent d'un Clint Mansell pour cela), une jolie chanson de générique signée Lana Del Rey, et une myriade d'incohérences assez dingues, la plus grosse étant celle du fer qui soit disant brûle les fées mais qui ne semble plus vraiment faire de mal à la fin du film. Et puis franchement, comment peut-on oser essayer de nous faire gober qu'une gentille, jolie et jeune fée dans un pays mignon et enchantée s'appellerait Maléfique ? Faut vraiment vouloir se tirer une balle de pied en commençant comme ça.

Créée

le 5 juin 2014

Critique lue 671 fois

16 j'aime

1 commentaire

Krokodebil

Écrit par

Critique lue 671 fois

16
1

D'autres avis sur Maléfique

Maléfique
AshtrayGirl
4

"Bonjour, mocheté."

Dissipons tout de suite le malentendu : le film est d'honnête facture, très "Disney family", et vaut sans nul doute plus de 4/10 (si l'on tient à le noter ainsi) pour peu que l'on accueille le...

le 28 mai 2014

56 j'aime

5

Maléfique
Gand-Alf
2

Ma sorcière bien-aimée.

Visiblement à court d'idées, les studios Disney semblent désormais partis pour retranscrire en live les titres les plus emblématiques de leur catalogue, comme en témoigne ce Maléfique, premier film...

le 15 avr. 2015

46 j'aime

14

Maléfique
Ambrrruh
4

Critique de Maléfique par Ambrrruh

Je ne regarde jamais les bandes-annonces normalement, parce qu’en général soit elles révèlent tout, soit elles sont à côté de la plaque. Mais je vous demande de faire une exception pour celle-ci qui...

le 21 juin 2014

42 j'aime

1

Du même critique

Rush
Krokodebil
8

Le bec de lièvre et la tortu(rbo).

Pourquoi aimé-je le cinéma ? On devrait se poser cette question plus souvent. Elle m'est venue à l'esprit très rapidement devant ce film. Avec une réponse possible. J'ai d'ailleurs longtemps pensé...

le 29 sept. 2013

126 j'aime

12

Mister Babadook
Krokodebil
7

Mother, son, wicked ghost.

La cinéma australien au féminin est fécond en portraits de femmes un peu paumées, ou complètement névrosées. Il y a les héroïnes têtues et déterminées de Jane Campion, les monstres effrayants (Animal...

le 31 juil. 2014

102 j'aime

10