Oui, ce n'est pas forcément nouveau. Chez Fassbinder, il y a souvent une dimension très critique de la société. RWF épouse souvent les trajectoires de petites gens confrontés aux errements du grand capital (le Droit du plus fort et Je veux seulement que vous m'aimiez et leur rapport sordide à l'argent), de la technologie (Le Monde sur le Fil, ou l'exploit de faire l'un des meilleurs films de science-fiction dans des décors minimalistes), ou simplement aux on-dit (Tous les autres s'appellent Ali).

Pourtant, rien ne prépare a priori au choc Maman Küsters tant Fassbinder tire sur tout ce qui bouge : la presse sensationnaliste et diffamatoire, les communistes et leur réformisme bourgeois, les gauchistes et leur violence vouée à l'échec. Jusqu'à l'opportunisme des propres enfants de Emma Küsters (interprétée par une formidable Brigitte Mira). Fassbinder épouse complètement le point de vue de cette vieille dame, confrontée à l'instrumentalisation par les médias et les groupes politiques du meurtre et du suicide commis par son mari. Tous égoïstes semble nous dire tristement (et jamais cyniquement, ou de manière bâtardes) le cinéaste, tous opportunistes.

Pourtant, si la société est responsable (et elle l'est plus que jamais dans ce film en particulier), l'approche de Fassbinder ne relève pas du pur portrait au vitriol. Parce que, il faut bien le dire, et Rainer Werner le montre très bien ici, c'est que Maman Küsters est digne, pure, mais elle est aussi naïve, voire stupide lorsqu'elle se laisse embrigader sans réfléchir une seule seconde aux conséquences par la presse ou par les politicards de tous partis. D'ailleurs, elle ignore tout de la chose politique et si elle se laisse embarquer, c'est avant tout pour laver l'honneur de son mari, bafoué par les journaleux. Elle aussi a donc sa part d'égocentrisme. Elle a donc aussi sa part de responsabilité dans le drame qu'il lui arrive et ça, Fassbinder ne l'oublie jamais. De plus, les motivations des partis politiques et des médias à sensations ne sont jamais purement caricaturales, ces gens-là ont leurs raisons et Fassbinder, même s'il frappe où ça fait mal, ne leur enlève jamais cette humanité. La fille de maman Küsters, par exemple, conserve cette ambiguïté psychologique. Elle accepte la diffamation à propos de son père dans ses propres intérêts mais reste proche de sa mère, aimante et douce à son égard.

C'est une caractéristique encore de Fassbinder dans ses oeuvres les plus émotionnelles, les plus sensibles, de s'attacher à des personnages faibles, imparfaits, parfois bêtes, c'est ce qui les rend plus humains. Ici, la détresse de cette veuve touche d'autant plus qu'elle en est en partie responsable. Et Fassbinder, à l'issue de cette Maman Küsters (qui comporte deux finaux, selon la version américaine ou allemande, je préfère celui de la version allemande qui me paraît plus représentative du film et du propos du cinéaste) nous dit finalement que si tout le monde est coupable, chacun a ses raisons.
Nwazayte
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2014 en images (annotations incluses), Rainer Werner Fassbinder, ce patron et A la découverte du cinéma allemand

Créée

le 9 févr. 2014

Critique lue 687 fois

10 j'aime

7 commentaires

Nwazayte

Écrit par

Critique lue 687 fois

10
7

D'autres avis sur Maman Küsters s'en va au ciel

Maman Küsters s'en va au ciel
Morrinson
7

"Une vieille femme ne peut-elle pas aussi avoir des souhaits ?"

Je commence à peine à cerner le Fassbinder de cette période, grosso modo les années 1970 particulièrement virulentes et protéiformes dans les critiques de la société allemande. C'est un film que l'on...

le 25 août 2022

2 j'aime

Maman Küsters s'en va au ciel
tobor
8

Maman Kusters s'en va au spoil

Je pourrais qualifier ce film de "Mon Fassbinder préféré" tout en n'ayant vu qu'une petite partie de sa filmographie... Ici on est devant une satyre sociale qui balaye différents aspects de la...

le 2 juin 2023

1 j'aime

Du même critique

Sur le globe d'argent
Nwazayte
9

L'antre de la folie

Expérience hallucinée, hallucinante et hallucinatoire, Sur le Globe d'Argent est un film monstrueux, une oeuvre titanesque que le tournage chaotique et inachevé éloigne encore un peu plus de...

le 1 mars 2016

37 j'aime

1

Le Miroir
Nwazayte
10

Le Temps retrouvé

On ne dira jamais assez combien la démarche de Andrei Tarkovski quand il réalise le Miroir est proche de celle des écrits de Marcel Proust. Ecrivain français et cinéaste russe ont tous les deux...

le 12 juin 2014

37 j'aime

La Maison des bois
Nwazayte
10

Dans la chaleur du foyer

Il m'est très difficile d'écrire sur la Maison des Bois, même trois semaines après le visionnage. C'est rare mais ça arrive : l'oeuvre vous marque parfois durablement, laisse une trace inaltérable...

le 14 janv. 2015

33 j'aime

2