Je comptais pas spécialement me lancer dans la «critique d’ordinateur», m’enfin, spoilers : Manchester By The Sea est un chef d’oeuvre absolu.




«Lee Chandler est un solitaire irritable qui travaille comme homme-à-tout-faire pour un bloc d'appartements à Boston. Un jour d'hiver humide, il reçoit un appel provenant de sa ville natale située sur la côte, au nord. Son frère vient de mourir d'un infarctus et il a été nommé tuteur de son neveu de 16 ans. Comme si la perte de son seul frère et ses doutes sur sa capacité à élever un adolescent ne suffisaient pas, son retour vers le passé remet en lumière une tragédie indicible.»
 Je vais pas m'attarder plus que ça sur l'enjeu de l'intrigue, yen a ici qui le font vraiment mieux que moi. Manchester By The Sea est un film sur le deuil, le non-dit et la rédemption. Un deuil qui n’est pas celui que l’on croit, un non-dit qui brise encore des coeurs et une rédemption qui n’arrive finalement pour personne.



On ne connaît pas bien son réalisateur Kenneth Lonergan, qui n’a réalisé que 3 films, mais lui est connu des américains, car c’est un metteur en scène à succès (Broadway). Si l’on s’attarde sur sa manière de filmer, on peut constater à tout moment le poids de ses influences. Petit hommage : au delà du sujet traité, la beauté du film réside avant tout dans la précision de ses cadrages : les scènes se muent en actes, la géométrie à l’écran m’a fait penser à Ozu (oui monsieur), c’est clair, évident, mais jamais navrant. L’entrée en matière se déroule comme un documentaire. En bref, on s’imprègne de suite de l’atmosphère de la ville de Manchester-by-the-sea, c’est magnifique et ça peut faire penser à du Malick «post-Tree of Life» (dans ce qu’il a de meilleur) voir à du Lars Von Trier dans ses folles épopées, mais sans le sadisme. Et puis et surtout, il y a un génie jouissif dans l’écriture, dans le travail des expressions. Les flash-back sont orchestrés de manière magistrale, jusque la scène «épicentre» du film couverte par Albinoni, qui fait fondre le spectateur au sens littéral.




Le film tient en partie sur la prestation impressionnante de l’ensemble du cast. Déjà affolant et captivant en pervers sanguinaire et ultra-violent dans The Killer Inside Me, Casey Affleck nous livre ici sa plus grande prestation d’acteur, lui qui est définitivement l'un des plus grands de sa génération, avec un oscar mérité à la clé. Il demeure l’un des rares à garder une posture et un parler propre à lui, qui ne se défile pas au service de l'interprétation de son rôle. Le génie de Kenneth est de faire basculer progressivement la vision que l'on peut avoir de cet oncle asocial et perturbant. On se pose beaucoup de questions : pourquoi un tel renfermement sur soi, pourquoi une telle pudeur, un tel vide chez ce Lee qui n’arrive pratiquement pas à exprimer quoi que ce soit tandis qu’il apprend la mort de son frère ? La gêne laisse place à la tristesse et l’on se sent véritablement bouleversé dès lors que la trame du film se découvre : d'ailleurs on est à tout moment, à chaque acte, surpris, comme pris de court par la situation. Kenneth a toujours une longueur d'avance sur le spectateur. Celui-ci est bouleversé certes, il pleure, il rit, mais il est toujours surpris de rire dans sa peine et de pleurer avec autant de sérénité que le karma d’un lama-licorne.

Casey est l’archétype du caméléon américain moderne qui peut te faire voyager socialement : il est impérial en flic texan (d’ailleurs c’est trop la mode en ce moment, Shannon avec Nocturnal Animals, Matthew (bon lui il l’est vraiment) dans Killer Joe ou Woody Harrelson dans True Detective), il l’est tout autant en agent d’entretien du Massachusetts, ville ouvrière côtière et populaire qui nous rappelle la Bretagne : clairement, l’Amérique profonde c’est lui.
D’ailleurs c’est aussi (et c’est une habitude pour elle désormais) dans le registre de femme au foyer postmoderne complètement tourmentée que l’on retrouve Michelle Williams. Elle livre selon moi l’un de ses meilleurs rôles (très bof dans Marylin, absente dans Brokeback Mountain). Elle est terriblement vraie, et la douleur de sa perte jamais oubliée la conduit au besoin imputrescible de retrouver son Lee, comme avant; mais lui est mort intérieurement.


Jusque la scène fatidique de la dernière rencontre; désemparée, c’est pas beau à voir mais ça sort des tripes.



Et que dire de Lucas Hedge, alias Patrick le teen argument ? Bah, que du positif. On parle d’un gars qui, avec 3 ans de moins que moi, s’est déjà tapé deux Wes Anderson et une nomination aux oscars. Un jeune adulte donc qui, préparé à la mort de son père, a eu le temps de se digérer lui-même ce deuil. Un ado qui vit au jour le jour, qui garde comme il peut, comme un dur, toutes ses émotions enfouies jusqu’à ce ça lui pète à la gueule, physiquement. Histoire banale mais tellement juste dans son traitement ! 



Mais malgré le quadruple enjeu du deuil, Manchester By The Sea est aussi un film, de fait, résolument comique. Des gags d’école, comique à répétition utilisé pour les scènes du bar en cadrage fixe qui frisent pour moi le Wes Andersonisme; les rôles qui s’inversent lorsque son neveu Patrick souhaite à tout prix coucher avec sa petite amie : Lee et sa partenaire du soir se muent en ados incapables de se défaire d’une situation gênante; ou encore ce même Patrick, qui fond en larmes d’angoisse car le poulet n’a rien à faire dans le congélateur. On se surprend toujours soi-même de trouver à rire dans cette oeuvre; derrière toute cette tendresse, il y a la profondeur suffocante et invivable du drame. C’est là encore une fois le génie de ce film complètement réussi.


Bref, si tu veux ressentir la vie, si tu veux un film résolument beau, absolument cool, terriblement émouvant et bah tu vas voir ce film et tu fais pas chier. D'ailleurs non tu vas voir ce film tout court.

Zarif
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Créée

le 23 juil. 2017

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Zarif

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