La confirmation en demi-teinte d'un auteur

   8 ans après le formidable et prometteur *Beyond the Black Rainbow*, j’étais dans un état d’excitation palpable face à ce nouveau fait d’armes de Panos Cosmatos. D’autant que les retours soulignaient tout ce qui me faisait fantasmer chez ce metteur en scène. Des mots tels « trip » « ésotérique » ou encore « cauchemardesque » venaient qualifier cette nouvelle réalisation. 
Dans *Mandy*, on retrouve en effet la patte Cosmatos ainsi que des motifs faisant écho à son film précédent. Pêle-mêle : un crâne se décomposant ou brûlant ; des dialogues silencieux et irréels en voiture ; des rencontres hallucinantes avec des personnages déconcertants sans réelle fonction narrative mais faisant partie d’un univers bien plus large que ce que le cadre veut bien nous montrer. Mais malheureusement ici, *Mandy* ne parvient pas à être aussi captivant que son prédécesseur puisqu’il noie des idées fulgurantes dans des longueurs interminables et un rythme déroutant. Cependant, le film s’avère une expérience cinématographique marquante.
**Hippies, drogues et rites occultes**
Le film assume un découpage net dans lequel chaque partie détient un rythme, des enjeux et un schéma actanciel distincts. L’introduction et la première partie occupent la première moitié du film. L’introduction plante le décor en 1983 dans le nid douillet de Red et Mandy. Cette dernière nous est présentée par de magnifiques fondus enchaînés comme une femme créative mais mystérieuse.
La première partie installe un élément perturbateur : une bande d’illuminés menée par un gourou prénommé Jeremiah croise la route de Mandy dans les bois. Le gourou est sous le charme. Il a « besoin » d’elle pour des raisons disons... spirituelles ? Malgré son look de quadragénaire rockeur raté, il gagne en crédibilité au fil des minutes et notamment grâce à ses fidèles et particulièrement grâce à « Brother Swan » qui réussit à invoquer des êtres surnaturels à l’aide d’un artefact mystérieux. Ces créatures anthropomorphes aux allures inquiétantes (très inspirées des cénobytes de Clive Barker) chevauchent des quads et des motos. Elles sont violentes, dangereuses et avides d’une substance liquide étrange donnée en offrande par leurs invocateurs fidèles. Ce que l’on croyait n’être qu’un délire de hippies défoncés commence à devenir crédible et flippant... La tension est montée d’un cran.
Malheureusement, après l’intensité cauchemardesque de l’enlèvement de Mandy, Jeremiah vient casser le rythme et nous endort avec un monologue d’une longueur inouïe. De plus, l’effet graphique dont use le réalisateur tout au long de la scène censé simuler l’état de demie conscience de la captive est tout à fait rebutant pour ne pas dire complétement laid. Cet aspect amateur vient contredire la maestria photographique dont *Mandy* a fait preuve jusqu’ici. La scène a au moins le mérite de poser un enjeu majeur du film : Jeremiah serait un « élu » amené à transcender sa nature humaine et Mandy aussi. Discours pris bien plus au sérieux depuis l’invocation réussie des créatures. Cette interminable scène fait retomber la tension et phagocytera même l’impact de la suivante dans laquelle Mandy est brûlée vive par la troupe sous les yeux de Red. Dommage pour cette scène à fort potentiel émotionnel qui représente le pivot du film, le faisant basculer dans sa deuxième moitié qui s’annonce plus burnée…
**Red is dead**
Le changement est symbolisé par cette scène surréaliste et grandguignolesque dans laquelle notre cher Red en slip pleure, hurle, se bourre la gueule et se soigne (en même temps) dans sa salle de bain. Une performance absurde d’un Nicolas Cage au sommet de son art douteux si caractéristique mais à propos dans ce deuxième segment placé sous le signe de la série Z. Pourtant, ce basculement et toute la seconde moitié de *Mandy* n’est jamais vraiment vertigineuse et ce pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, le film bascule dans le *revenge movie* en déroulant une progression perturbante et illogique à mon sens. En effet, le film ayant ouvert une porte sur un monde surnaturel vers la fin de sa première partie, on prétend donc que les créatures provenant de ce monde sont surhumaines. Les tuer, ou a minima les atteindre, représente a priori une quête prométhéenne en soi. Sauf que Red commence à épancher sa soif de vengeance en les tuant elles pour ensuite s’attaquer à la bande d’illuminés nettement moins charismatiques et moins puissants avec une facilité déconcertante ! Les combats sont certes violents mais jamais jouissifs car souvent expédiés.
Malgré des sommets aussi géniaux qu’absurdes comme l’allumage de cigarette à partir d’un crâne en feu par un Cage possédé ou un combat de tronçonneuses géantes, nous sommes la plupart du temps dans l’attente ou la déception. Les rares dynamiques excitantes sont très vite avortées. Les magnifiques plans qui nous explosent la rétine ne sont pas d’éternelles diversions et laissent s’installer insidieusement un profond désintérêt pour ce qu’il se passe à l’écran. On ne cherche même pas vraiment à comprendre ni la fin du film ni les questions laissées en suspens : Mandy est-elle vraiment morte ? Tout cela n’est-il pas la projection imaginaire de Mandy inspirée par le livre qu’elle est en train de lire ? Peu importe. Vraiment. De toute façon, l’accent a bel et bien était placé sur l’expérience graphique et hallucinogène plutôt que sur le scénario ; derrière ses aspects cérébraux, Mandy est surtout un film qui fait appel à nos sens.
Cette épopée recèle toutefois de moments mémorables de surréalisme. Prenons l’exemple de cette scène fantastique où Red rencontre ce qui s’apparente à un chimiste dans un entrepôt baigné d’une lumière froide et blanche dans lequel repose un tigre en cage. Tout dans cette scène est saisissant : les effets sonores, le comportement du chimiste qui nous fait passer de l’hébétude inquiète à l’envie d’en savoir plus sur ce qu’il révèle de l’intrigue, le tigre qui s’échappe de sa cage pour ensuite devenir une allégorie figée au sein d’un plan ultra coloré, les millepattes que l’on découvre après-coup, jonchant le sol… Un bon trip. Une ambiance qu’un David Lynch n’aurait pas reniée ! On est parfois bluffés par l’ambiance qui se dégage de l’écran, montrant ainsi le talent de Cosmatos pour créer un atmosphère fascinante dans ses films
**Un voyage surnaturel marquant**
Le deuxième film de Panos Cosmatos me laisse perplexe. Aussi hypnotisant qu’ennuyeux. Je suis surpris de me rendre compte que Mandy m’a laissé un souvenir indescriptible. Une empreinte teintée d’exaspération, de mystère et de stupeur. A chaque fois que j’y repense, se confrontent dans ma tête des idées contradictoires et pourtant légitimes. On comprend l’intention du réalisateur de nous proposer sa version ésotérique du *revenge movie* biberonné à la série Z et à la sauce champignon. Une réussite puisque le voyage est mémorable ! Cependant, on ne peut pas pardonner de trop nombreuses scènes aussi ineptes que longues… On ne peut que regretter cette absence de montée en puissance qui prive cette quête vindicative et une potentielle transcendance que laissait miroiter certains éléments surnaturels de l’intrigue. Dans tous les cas, Panos Cosmatos est définitivement un cinéaste trop peu connu qui sait marquer les esprits puisqu’il a su proposer une vision radicale et neuve en seulement deux longs-métrages. Rien que ça, ça fait du bien merde ! Merci à lui !
Petrichor_Bleu
5
Écrit par

Créée

le 2 oct. 2022

Modifiée

le 10 juil. 2019

Critique lue 311 fois

Petrichor_Bleu

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