Gros Mank D'Emotions

Mank est un projet que David Fincher porte en lui depuis une vingtaine d'années. Cette histoire du scénariste Herman Mankiewicz alors qu'il s'atèle à l'écriture de Citizen Kane est d'autant plus chère au cœur de David Fincher qu'elle a été écrite par son père Jack Fincher. Après le refus de plusieurs studio de produire le film dans les années 90 David Fincher laissera donc Mank reposer dans sa tête pendant presque 20 ans jusqu'à ce que Netflix redonne vie au projet tel que Fincher le souhaite à savoir faire un film qui ressemblerait à l'époque et au cinéma qu'il évoque, celui en noir et blanc des années 30.

Mank est donc le récit de la génèse de l'écriture du film Citizen Kane par Herman Mankiewicz alors qu'il se retrouve alité et en plein sevrage. Puisant dans ses propres souvenirs et son passé au sein de l'industrie cinématographique Mank va construire en 60 jours le scénario du futur chef d'œuvre d'Orson Welles.

Mank est un film brillant sur bien des aspects à commencer par sa patine graphique et le choix radical de Fincher de faire un film pour qu'il semble visuellement sortir tout droit des années 30. Noir et blanc magnifique, décors, ambiances, jeu des acteurs, costumes, typographie du générique, musique, fondus au noir, effets spéciaux d'époques, rien ne manque à l'illusion pas même les marques de brulures de cigarettes pour marquer les changements de bobines. Le film pousse le vice de la perfection jusqu'à donner une certaine réverbération et résonance aux dialogues jusqu'à vous faire douter de la qualité de votre ampli homme cinéma. Mank est aussi un film brillant de par son écriture et cette forme de mise en abîmes permanente du cinéma dans le cinéma permettant (à condition de bien connaître Citizen Kane) de jouer au petit jeu des correspondances et références entre la vie de Mank et certains aspects du film de Welles. On pourrait ajouter encore les nombreuses thématiques que Fincher père et fils abordent au fil de Mank comme le pouvoir de l'image et du cinéma au service de la propagande, l'importance de celles et ceux qui dans l'ombre œuvrent à la réussite éclatante des films ou l'intégrité morale et artistique de l'artiste face à un système d'enjeux plus économiques, politiques ou sociaux. Incontestablement Mank est un film riche en idées , intelligent dans sa conception et franchement brillant dans son exécution; tout semble parfaitement maîtrisé rien ne semble vraiment critiquable, rien ne dépasse et pourtant Mank ne m'aura jamais vraiment embarqué dans son froid tourbillon.

Il y-a dans le film une scène durant laquelle l'un des patrons de la MGM parle de l'émotion que doit susciter un film et peu importe qu'elle vienne de la tête, du cœur ou des couilles et voilà bien ce qui me manque pour Mank , l'émotion. Je l'avoue sans le moindre soucis le film de Fincher aussi brillant soit il m'ennuie assez profondément comme toutes ses œuvres d'art magnifique et parfaitement exécutés mais qui ne provoquent pas la moindre émotion. L'émotion c'est souvent ce qui invite le film dans l'intime, la porte par laquelle le spectateur parvient à rentrer dans le film et le film réussit à rentrer dans le spectateur. Sans émotions et peu importe laquelle (Joie, colère, enthousiasme, rage, tristesse) le spectateur ne reste qu'un spectateur passif et figé face aux images qui défile devant lui. Certes Mank est un film brillant qui flatte l'intellect mais j'ai eu aussi la sensation d'un exercice de style assez froid et théorique surtout propre à flatter l'analyse du cinéphile averti qui pourra d'un revers de main un peu dédaigneux écarter tout avis négatif sur le registre du "Tu n'es pas assez cinéphile pour vraiment comprendre". Je ne sais pas si je suis cinéphile, cinéphage ou cinérien mais pour moi aimer un film tient justement du cœur plus que de la raison, plus du sentiment intime que de l'analyse purement théorique. Bien sûr cela ne signifie pas que je suis incapable d'approcher un film d'un point de vue purement intellectuel mais j'ai besoin d'être arraché de mon fauteuil pour rentrer dans l'univers et dans l'écran. J'ai vu des tonnes de films bien plus cons et plus mal branlés que Mank mais qui ont toujours cette capacité tout à la fois me faire oublier ce qui m'entoure et me replonger dans mes propres émotions, doutes, contradictions et pensées. Avec Mank je ne reste que le spectateur d'un magnifique et intelligent livre d'images, je reste dans mon fauteuil face à l'écran et parfois (honte à moi peut être) mon esprit part vagabonder ailleurs car rien ne m'accroche intimement au film.

Entre le cœur et la raison j'ai longtemps hésité avant d'attribuer ma note à Mank ne pouvant me résoudre à l'idée de mettre un 05/10 comme un refus de vraiment prendre le parti fort de décider si j'aime ou non ce foutu film. J'ai choisi de basculer vers le versant positif car il me semble impossible de faire pencher Mank de Fincher du côté des mauvais films, ce qu'il n'est pas de toute évidence.