« La chèvre cria d’une voix inhumaine. » C’est le genre de phrases insensées auxquelles doit faire face Andreï et qui donnent à son existence ce goût d’absurde qui le laisse souvent perplexe. Il est traducteur pour une maison d’édition de Leningrad. Il partage sa vie professionnelle entre ses traductions, des cours qu’il donne dans une école spécialisée et des coups de main à des collègues comme Hansen, un confrère danois à l’allure de vieux hippie qui souhaite traduire Dostoïevski dans sa langue. Si sa vie professionnelle est déjà bien chargée, sa vie privée ne l’est pas moins : une femme acariâtre et jalouse, un beau-fils qu’il ne supporte pas, un voisin envahissant et gaffeur un peu trop porté sur la vodka, et surtout Alla, une jeune maîtresse dont il est fou et pour laquelle il prend des risques inconsidérés. Il doit affronter le regard inquisiteur de Kolia, l’oncle d’Alla, qui finit par découvrir que l’amant de sa nièce est un homme marié, il doit récupérer le pauvre Hansen en cellule de dégrisement parce que ce dernier s’est enivré avec le voisin Vassili suite à une cueillette de champignons qui a mal tourné, et toujours il doit essayer de rentrer chez lui, dans une ville séparée en deux par le fleuve où on relève les ponts à la nuit tombée, coupant jusqu’au matin toute communication entre les deux rives.


"Marathon d’automne" a le charme un peu désuet de ces films soviétiques à la pellicule rosie par le temps. Sous-titré « comédie triste », il suscite en effet alternativement amusement et mélancolie. Le quotidien d’Andreï, brave homme acculé au mensonge pour préserver son couple, est fait de retards accumulés, de rendez-vous manqués et de coups de téléphone désespérés. Le héros fréquente en effet assidument les cabines téléphoniques, s’excusant auprès de tout le monde, inventant des prétextes, tentant de justifier ses absences et se faisant généralement raccrocher au nez. On n’ose imaginer ce qu’aurait pu donner ce film à l’ère du téléphone portable ! L’autre objet technologique qui parcourt le récit, c’est une montre-bracelet qui minute le temps d’Andreï et produit un bourdonnement insupportable dès qu’il doit changer d’activité ; il finit d’ailleurs par s’en débarrasser pour retrouver une certaine liberté.


Rompant simultanément avec sa femme et sa maîtresse, se réconciliant au même moment avec les deux, Andreï ne voit guère d’issue au double jeu dans lequel il est empêtré. La dernière scène nous le montre effectuant son footing en compagnie d’Hansen le long des blocs de béton gris, ultime tentative pour fuir ses problèmes, le marathon du titre n’étant jamais qu’une course à l’issue incertaine. Sentiment d’enfermement pour lui, petit goût d’ostalgie pour le spectateur.

David_L_Epée
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le 14 juil. 2015

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David_L_Epée

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