PUTAIN.
Arrêtons-nous sur ce film un moment, s'il-vous-plait. Là je viens de voir un film que je n'aurais pas pensé trouver si extraordinaire - il l'est, assurément.
Nan vraiment, le film, tourné en 2005, a déjà eu le malheur d'être rejeté à plusieurs reprise par un des producteurs pour qui les montages proposés (dont l'un signé, bénévolement, par Scorsese) n'étaient pas satisfaisants, a eu en plus une une distribution de merde : sorti finalement en 2011 (Sydney Pollack, un des producteurs, aura eu le temps de disparaître avant cette date) aux Etats-Unis dans quelques salles, et en France, en 2012, dans une seule salle, en VF ! par la Fox. Le film devait durer 3h30, mais 2h30 étaient requises pour l'exploitation au cinéma. Finalement ce sera 2h30, j'aurais aimé voir la version longue, de 3h (qui existe, quelque part, dans une version dvd américaine), que Scorsese a qualifiée de chef-d'oeuvre.
Alors s'il-vous-plait, ne passez pas à côté de ce film, pas vous non plus.


C'est l'histoire d'une jeune fille, très mature, mais excédée par ses émotions. Elle se rend coupable d'un accident de la route, voit une femme mourir entre ses mains, et n'accepte pas que l'affaire soit classée, à cause d'une fausse déclaration de sa part et du chauffeur de bus qui a renversé la femme. Après avoir essayé de reprendre le cours normal de sa vie, elle tentera de rendre justice à cette femme, à faire parler le chauffeur, qui nie en bloc, à se rendre justice à elle-même aussi, à assumer sa position.
Pendant ce temps, elle déconne, mais une chose est importante : .. Qu'est-ce que j'en sais en fait, je ne suis pas dans la tête Lisa, alors je vous laisse découvrir quoi. Car ce film ne propose de solution unique. C'est un film extrêmement vivant, aux multiples visages, qui ne se résume pas à une thématique, même si le passage à l'age adulte et ses désillusions est un thème prédominant.


Je vais attaquer tout de suite les points négatifs, qui seront seulement formels.
Les plans sont pas toujours bons. Il font parfois même amateurs (seul reproche à vrai dire). Je ne sais pas si c'est voulu - c'est possible -, mais certains cadrages, surtout dans la chambre de Lisa (Anna Paquin), sont assez bizarre, caméra sur trépied, angle caméra surveillance... Bon. Mais ça peut se justifier : le film ressemble à un récit documentaire. Les scènes sont tellement vraies et justes. Ce film ne semble pas se soumettre à une narration prédéfinie : tout est vivant, mais tout s'accouple, c'est une orgie narrative. Les dialogues sont incroyables de vérité, de spontanéité (le réalisateur est dramaturge il me semble) ; j'en ai jamais vu de tels, oui oui. Et ils sont portés par des acteurs exceptionnels : Anna Paquin, formidable, magistrale, puissante, loin des meilleurs performances de cinéma qu'on a pu voir. Beaucoup de scènes n'ont rien à voir avec l'intrigue principale, mais participent donc à cette orgie : flirt, cocaïne, dépucelage, scène de débat en classe sur le 11 septembre, réactions en cours de littérature sur un dialogue de Shakespeare sur l'arbitraire des hommes par rapport aux Dieux, scènes de disputes avec sa mère... Tous est fin, extrêmement juste, pas magnifiquement joué, mais extraordinairement joué. Vrai.
Ce film est extraordinaire. Vous comprenez ? Au premier sens du terme. Il est déroutant, atypique. C'est un film très américain. Mais pas américain genre production typique avec les rues de NY et l'ambiance hype, genre ciné indé à la Noah Baumbach (génial autre réalisateur indépendant) ou Woody Allen, mais plutôt comme on voit NY dans les documentaires d'arte - ça doit pas vous dissuader de le regarder, attendez, ne partez pas !
Non, c'est juste que cette fois, on a vraiment l'impression qu'on pénètre dans l'intimité d'une aventure psychologique (pardonnez-moi la trivialité du terme), en passant par une fenêtre d'un appartement, pas au hasard, mais parce qu'on a senti, sans savoir comment, que c'était à cette fenêtre qu'il fallait s'attarder.


Regardez ce film, ne passez pas à côté. Même si vous n'aimez pas, vous aurez vu un grand film, un film important, à la dimension intemporelle - injustement négligé. Mais le temps se chargera de le remettre à sa place, j'en suis certain.


P.S.: Quel plaisir de découvrir, par hasard, dans un bac de dvd perdus, à la bibliothèque municipale, un film très méconnu, largement déprécié, mais qui s'avère être au final un bijoux extraordinaire.


Post critique :


Il faut que j'écrive encore. Je sais pas quoi, mais Margaret continue de me hanter. Je n'ai plus envie de voir de films. Pas que les prochains que je verrais seraient moins bons, mais je n'ai pas envie d'oublier ce film. Vous voyez ce que je veux dire ? Ce serait comme si le film avait rompu trop tôt, me laissant seul devant mon écran noir, alors que moi je voulais continuer cette aventure putain. Le film est long, certes, et s'essouffle parfois, mais, c'est tellement vrai, c'est pas grave qu'il y ait des moments de faiblesses : un amour en contient, c'est inévitable. Maintenant je me retrouve seul avec ce film derrière moi, qui est passé trop vite, qui aurait pu durer plus longtemps, je le sais, puisqu'il est amputé d'une heure.
Je me remémore cette longue introduction, qui filme les rues new-yorkaises, comme un docu d'arte sur l'Amérique traumatisé par le 9/11, au ralenti, le temps d'un morceau (Recuerdos de la Alhambra, de Tarrega). Je n'ai pas aimé cette introduction. Ca me rappelait qu'on avait fait beaucoup plus esthétique avec Dog day afternoon ou Philadelphia. Mais vous voyez, ça n'a pas été le coup de foudre tout de suite, j'étais même dubitatif devant cette intro rappelant un peu trop, à l'esthétique, les documentaires d'arte. J'étais plutôt comme Aurélien devant Bérénice, dans le roman d'Aragon. "La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide". Mais je suis tombé amoureux tout de suite après, et maintenant, j'aime ce moment, j'aime cette intro, elle fonctionne.


Si je suis tombé amoureux, l'actrice Anna Paquin y joue pour beaucoup. C'est un film portrait. Portrait d'une Amérique, mais aussi de Lisa, cette jeune new-yorkaise en age de transition, face aux violence de l'age adulte : mort, drogue, sexe, lâcheté... Cette Lisa est magnifique, mais parfois moche - c'est ce qui la rend belle.
Il y a vraiment des tirades incroyables, qui montrent que le réalisateur scénariste sait faire vivre ses personnages - comme un Desplechin ou un PT Anderson, en mieux - et proposer des discours qui s'affrontent. Comme cette scène où Lisa se confie à la meilleure amie de la défunte, lui évoquant les dernières minutes de la vie de la femme. En se confiant, elle espère trouver une oreille avant tout, c'est tout ce qu'elle cherche depuis le début. Alors, elle, comme nous, pense que cette interlocutrice (la meilleure amie de la défunte, Emily, jouée par l'excellente Jeannie Berlin), qui a semblé jusqu'ici être très compréhensive et ouverte, saura l'écouter. Elle lui raconte que la femme lui a demandé avant de mourir d'appeler sa fille (morte à 12 ans), s'appelant aussi Lisa, et pense qu'elle aurait peut-être été à ce moment, une incarnation possible de sa fille. Emily s'insurge devant tant d'égocentrisme. Vous voyez la force du film ? Là où un autre film aurait surement fait faire un câlin de compassion aux deux femmes, ici non, on montre ce qu'il se passe vraiment quand on se confie, avec peut-être un surplus de compassion suspect, qui peut se comprendre par un personnage caractériel comme une démarche purement égocentrique. Cette scène est une des plus fortes du film, car elle montre bien le combat que Lisa entreprend pour être écouter, et ainsi pour se construire.


Margaret c'est un film sur la recherche de construction de soi quand vient l'âge adulte. Ici, c'est la rencontre avec la mort qui provoque cet enlèvement de l'adolescence.
C'est aussi donc un film sur la solitude. Car si elle tente par tous les moyens de se construire par la rencontre, elle n'est pas forcément écouté, ou alors trop souvent superficiellement (la relation qu'elle entretient avec Emily, la meilleure amie de la défunte, est remarquable par sa finesse). Sa meilleure amie, qu'on voit à plusieurs reprises, n'est d'ailleurs jamais filmée de près (je ne me rappelle avoir vu son visage). Quant aux relations qu'elle entretient avec les hommes, elles sont soient judiciaires, soit avortées (le petit copain mignon qu'elle oublie, sans qu'on comprenne pourquoi), soit hostiles à son égard (le conducteur de bus qui refuse d'entamer un dialogue), soit régies par le sexe.
Ca fait d'ailleurs plaisir de voir Matt Damon, dans un petit rôle mais bien vivant même constat pour Jean Reno.
Mais Anna Paquin, vraiment, est sublime.


Edit du 3 octobre 2016 : j'étais vraiment hystérique en écrivant mes impressions, et c'est assez gênant à lire en fait. Mais ça change rien à mon ressenti, qui n'a jamais été aussi exacerbé après avoir vu un film.

Nicolas_Robert_Collo
9

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Créée

le 8 févr. 2015

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Gregor  Samsa

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