Si la crise est désormais sociale, économique et politique, son origine est financière et se trouve bien dans ces tours du Lower Manhattan. Voilà 5 ans que la crise originelle est survenue ; nous avons étudié les mêmes graphiques didactiques, assisté aux débats d’experts et pourtant certaines interrogations demeurent, notamment à savoir si la crise est systémique ou une dérive (question fondamentale pour désigner le fautif : la finance ou les hommes). Le cinéma, comme les autres modes d’expressions, a proposé quelques pistes d’explications, certaines plus heureuses que d’autres.

Avec Margin Call, J.C. Chandor choisit l’angle théâtral et en reprend la règle des trois unités. L’action est unique (sans négliger l’intérêt de chaque personnage), se déroule en 24 heures et se tient dans l’une des tours de l’île newyorkaise. Le parti-pris est audacieux car antipopuliste, Chandor ne prend en compte que le point de vue du banquier. Sans sacrifier la complexité et l’hétérogénéité de ce milieu, sa caméra ne sort jamais du « système » pour « nous » filmer. « On » est parfois figuré à l’écran mais par une mise en scène ingénieuse « nous » sommes toujours séparés par une vitre d’immeuble, une fenêtre de voiture. Manière de montrer que la finance n’accède à la réalité que par une série de prismes mathématiques chacun biaisant un peu plus l’image finale.

Tous les échelons de la banque d’investissement sont incarnés, du Président au jeune loup. Le réalisateur parvient particulièrement bien à retranscrire l’avidité motrice. Les personnages occupent leurs temps-morts en estimant le salaire et les bonus de leur n+1, n+2 et ainsi de suite. C’est en somme aussi pur que simple : l’argent est le moteur unique de cet univers, bien plus qu’une soif de pouvoir aveugle. Le sentiment qui ressort de ce panier de crabe et que chaque échelon gravi est un gage de sécurité. En quelque sorte, il s’agit de la transposition aux hommes de l’adage Too Big To Fail. Avec une apparente et déconcertante sérénité, le président de la banque choisit d’intoxiquer le marché. La crise n’est pour lui que l’étape inéluctable d’un cycle, un moment moins lucratif à traverser comme chaque décennie en compte depuis plus d’un siècle.

Margin Call s’attèle à ne jamais filmer la misère des subprimes, se cantonne au seul monde de la finance. Le réalisateur donne peu d’éléments auxquels nous raccrocher. Ainsi, nous n’entendons parler que de MBS (Mortage-Backed Security), les montages toxiques créés par ces firmes. J.C. Chandor réussit là où Oliver Stone a lourdement échoué. Margin Call évite la balourdise de Wall Street, l’argent ne dort jamais qui est à la fois didactique, moralisateur, larmoyant et démagogique. A contrario, Margin Call peut s’enorgueillir d’être digne et fin par son propos amoral. En effet, nous comprenons sans mal que la logique à l’œuvre est bien étrangère à toute question morale. Dans une première partie du film, nous prenons secrètement plaisir à condamner aussi bien le système que les personnages, jusqu’à ce monologue : Paul Bettany répondant à un jeune trader qui est le seul à s’intéresser aux conséquences des agissements de la banque sur « l’homme réel ». C’est au volant de sa Porsche qu’il abat sa théorie de la nécessité. Elle glace le sang ; la finance, l’économie de la dette seraient un mal nécessaire. L’avidité première, celle qui a tout engendré n’est pas celle de Wall Street mais la notre, celle de la propriété, immobilière comme de consommation courante. J.C. Chandor ne fait pas seulement se renvoyer dos à dos deux mondes que tout oppose, le notre et le leur. Il nous lie à eux ; la soif d’argent et de propriété est la notre ; morale cinglante : l’homme a créé la finance à son image.

Margin Call est à la fois fin dans son diagnostic et audacieux dans sa forme. Il laisse dans un état troublant ; nos dents étaient acérées, notre jugement prêt à condamner le capitalisme tout entier Plouf ! Le film est plus malin que cela, il déconcerte, énerve, enfin fait réfléchir. Pour conseil, alliez ce film au récent documentaire de Jérôme Fritel et Marc Roche – Goldman Sachs : la banque qui dirige le monde -, deux œuvres complémentaires. Louons le casting exemplaire de Margin Call, en particulier Kevin Spacey, Paul Bettany et Jeremy Irons. Enfin, une géniale idée pour lancer le générique de clôture. Certains y verront un détail. Un bruitage simplissime sur écran noir désempare et pousse radicalement à la réflexion.

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Auteur : Maxime
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le 12 oct. 2012

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