Au début, Marguerite, je pensais que c'était un remake de La Vache et le Prisonnier centré sur la belle bovine. Et je m'inquiétais dès lors du (non) acteur choisi pour singer son partenaire Fernandel relégué au rang de faire valoir. Mais ouf, il ne s'agit que d'une énième soit disant true story encostumée années 20. Avec Catherine Frot dans le rôle titre, cela peut être même bien, cette affaire, avec sa chanteuse d'opéra qui couine comme un chimpanzé en chaleur qu'on aurait obligé à s'asseoir sur une ligne à haute tension tout en buvant un tonneau de Corona chaude. Le tout au zoo de Vincennes par une nuit de pleine lune.


On se dit que la comédie qui pointe sous ce pitch décalé peut être convaincante entre de bonnes mains. Mais dès les premières minutes, comment dire... Cela refoule du goulot. Enfin, pour moi. Si les facéties de Catherine Frot peuvent faire sourire et sa performance ravir à coup sûr, le spectateur comprendra petit à petit qu'il se retrouve devant un film hautement hypocrite. Tiens, c'est pas un hasard, aussi hypocrite que les personnages qui évoluent dans l'environnement de Marguerite et qui la bercent d'illusions sur son talent et sa voix d'or. Car Marguerite se fout à peu de frais de son personnage éponyme, à coups de regards goguenards et complices dans son dos, de réflexions à double sens que la pauvre ne comprend pas et d'instrumentalisation des rires intérieurs qu'elle suscite.


Si encore Giannoli dénonçait clairement cette attitude nauséabonde dans la peinture de cette haute société des années 20... Et bien non. Pire, elle ne sera jamais ridiculisée, sauf quelques proies très faciles dépeintes à coups de clichés honteux et d'un autre âge. Il ne condamnera jamais ses agissements ni ne confondra les Tartuffes. Il faudra donc subir pendant deux heures très pesantes les sourires hypocrites et doucereux de tous ceux qui évoluent dans le sillage d'une Marguerite qui ne se rendra, finalement, jamais compte de rien. Giannoli s'en fout d'ailleurs bien plus que des gens qui se jouent d'elle et la poussent à chanter malgré son peu de talent. Car Marguerite, femme entière, simple, naïve et un peu fofolle, sera tournée en ridicule du début à la fin.


Et le spectateur, afin de couper court à un tel massacre, attendra à un moment ou à un autre une porte salutaire que la pauvre chanteuse se prendra dans la tête pour la confronter à la réalité... Celle-ci n'arrivera malheureusement jamais. Car Giannoli semble prendre plaisir à s'acharner sur les gens différents et les victimes faciles emportées par leurs passions. Il le fera de manière très lente dans un apprentissage douloureux pour les oreilles des domestiques des opéras les plus divers et variés. Jusqu'à singer le montage typique des Rocky & Co. sur fond musical pour matérialiser les "progrès" accomplis. Manque de bol, ce passage caricatural et totalement hors sujet vaudra que l'on se foute bien, pour une fois, du rieur Giannoli irrespectueux de son personnage tragique qu'il rendra pathétique par le biais de la caméra qu'il tient entre ses sales pattes.


Il en remettra d'ailleurs une couche dans l'acte final qui prolonge la souffrance ressentie plus que de raison pour la pauvre Marguerite en lui appliquant l'équation imparable pour la bêtise et la condescendance des gens qui se croient supérieurs : passionnés = aliénés.


Jusque dans un acte qui prend des allures d'euthanasie dérangeante.


Vous l'aurez compris, ce film m'a fait bouillir sous mon masque, tant il maltraite son personnage principal attachant malgré son ridicule de premier abord et qu'il ne s'attaque à aucun moment à la bonne victime. D'autant plus qu'il fait écho à cette fascination morbide et malsaine de l'échec d'autrui et du malaise consécutif, de la honte. Ou, de manière plus contemporaine, ce film peut aussi rappeler les pauvres victimes apprentis chanteurs des castings sauvages qui ne savent pas qu'ils passent pour A la Recherche de la Nouvelle Tare et font les beaux jours malsains des bêtisiers de tout poil. C'est cette même fascination qui pousse Giannoli et ses semblables à ralentir sur l'autoroute dans l'espoir de voir les cadavres ensanglantés sortis des carcasses encore fumantes de voitures compressées et accidentées.


Pour résumer, Marguerite, ça m'a mis mal à l'aise. Malgré la minutie de la reconstitution de l'époque, même si celle-ci est truffée de nombreux clichés. Malgré Catherine Frot, toujours impeccable et magique. Malgré une authentique destinée tragique.


Tout ça, c'est la faute à ce petit rieur dérisoire de Giannoli...


Behind_the_Mask, qui n'aime pas que l'on se foute de la gueule du monde.

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le 3 oct. 2015

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