Après ses films Kurt & Courtney et Biggie & Tupac, le réalisateur Nick Broomfield poursuit son exploration des duos marquants de l’histoire de la musique sous un angle cette fois inédit, puisqu’il s’agit ici de pénétrer l’intimité d’un couple et la relation entre un artiste et sa muse, les liens entre inspirations et créations.



Paradis perdu



Elle se rêvait comédienne. Lui écrivain. Ensemble, ils vont partager pendant plusieurs mois la demeure du futur chanteur sur l’île d’Hydra, en Grèce. Un cadre idyllique dans lequel va s’épanouir le couple, Leonard Cohen s’improvisant père adoptif du tout jeune fils de Marianne Ihlen, issue de sa précédente union avec l’auteur Norvégien Axel Jensen. Mais dans cet éden où beaucoup d’artistes et bohémiens ont élus domiciles, la drogue circule abondamment et va rapidement prendre une place prépondérante dans la vie de Leonard Cohen, influençant son travail mais aussi ses relations, son mode de vie et ses ambitions. Encouragé par Marianne, il publiera alors ses premiers romans, au succès plutôt confidentiel, avant que ce dernier ne se lance corps et âme dans la musique. Un changement de cap qui l’amène aussi à se rapprocher de son Canada natal et, par conséquent, à s’éloigner de sa muse et amante ainsi que de ses idéaux de jeunesse.


En 1967, lorsque Leonard Cohen publie la chanson So Long, Marianne sur son premier album, le succès de cette chanson d’adieu dédiée à sa muse laisse une empreinte forte dans la scène musicale de l’époque. L’influence de cette dernière s’en ressent également dans Hey, That’s no Way to Say Goodbye, puis dans Bird on the Wire sur l’album Songs From a Room. Si Leonard Cohen n’en est qu’au tout début de sa carrière, son aventure avec Marianne, vouée à l’échec par le succès et les tribulations du chanteur, le marquera pourtant à jamais.



« Les poètes ne font pas de bons maris »



A travers cette union, le film révèle les conséquences d’une époque, d’une génération marquée par l’insouciance mais condamnée à être, tôt ou tard, rattrapée par la réalité. L’amour libre prend ici un tournant rapidement néfaste, pour l’un comme l’autre : le tribut de cette relation ouverte est lourd à payer, et dépassera par bien des aspects la vie de ceux qui ont, de près ou de loin, pris part à l’entourage du couple.


Reprenant beaucoup d’images d’archives – dont celles du merveilleux documentaire de Tony Palmer, Bird On A Wire, réalisé pendant la tournée européenne de 1972, ou encore de Leonard Cohen, Portrait Intime d’Armelle Brusq autour de sa retraite bouddhiste au milieu des années 90 – , le film donne parfois l’impression de plus se concentrer sur la fascinante carrière de Cohen que sur les liens unissant les deux amants, ratant au passage l’occasion de saisir l’essence même de leur relation. Cependant, certaines images, à la lumières des commentaires et témoignages de musiciens et proches du couple, atteignent une dimension nouvelle, révélant des blessures que l’on devine intrinsèquement liées à cette idylle.



L’amour plus fort que la mort



Le réalisateur, qui fût lui-même l’un des amants de Marianne Ihlen, ne manque pas de le souligner à grands renforts de commentaires et d’anecdotes dispensables, quitte à faire plonger le documentaire dans un faire-valoir parfois plus égocentré que plongé dans son sujet. Si les frasques et la carrière de Leonard Cohen permettent un fourmillement de détails et d’éclairages sur ce qui a poussé la réussite puis l’échec de leur histoire amoureuse, il demeure, en revanche, bien peu d’éléments permettant de mettre en lumière la belle personne et la richesse de ce qu’apportait véritablement Marianne à Leonard, dans la proximité comme la distance, et le romantisme des premières années est vite éclipsé pour laisser place au tragique et à la fatalité de leur union.


Les deux derniers segments du film révèle deux instants magnifiques, pourtant déontologiquement discutables tant le cinéaste se fait plus voyeur que témoin, mais possédant bien évidemment un caractère émotionnel fort : tout d’abord des images de la tournée retour de Leonard Cohen, en 2009, où celui-ci invitera sa Marianne au premier rang lors de son passage à Oslo. Du bout des lèvres, face au poète à genoux, la muse chantonne alors les paroles qui lui sont dédiées. Puis, plus déchirantes encore, celles des derniers jours de Marianne où, sur son lit d’hôpital, elle écoute le message que vient de lui faire passer Leonard en réaction à l’annonce de sa fin prochaine. Une lettre merveilleuse, chargée d’amour et d’espoir, qui laisse sans voix et fait monter les larmes aux yeux.


Marianne Ihlen s’est éteinte le 28 juillet 2016 à Olso. Leonard Cohen, lui, décédera trois mois plus tard, le 7 novembre 2016, à Los Angeles. Deux êtres unis jusque dans la mort qui, même à des milliers de kilomètres de distance et pris dans des vies et préoccupations bien différentes, ne se sépareront véritablement jamais.


Si la relation ne peut s’incarner dans le réel, alors les mots et l’Art pourront, eux, donner à cet amour une dimension éternelle.


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le 10 sept. 2020

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