Marius
7.9
Marius

Film de Alexander Korda (1931)

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Pourquoi, aujourd'hui, revoir ce film vieux de 85 ans et que tout le monde pense déjà connaître ?
D'abord, parce que Marius, ce sont des dialogues. Le génie de Pagnol (qui, contrairement à une idée reçue, n'a pas réalisé le film et se contente d'en être le scénariste-dialoguiste) est présent dans chaque réplique.
"Il ne passait jamais au soleil, de peur d'avoir à traîner son ombre"
"Mais, ça fait quatre tiers ?
_ ça dépend de la grosseur des tiers !"
"A Paris, j'ai vu au moins 40 Canebière"
"Si on peut pas tricher entre amis, ça sert à rien de jouer aux cartes"
"Quoique, personnellement, ça ne me fasse pas la jambe plus belle !"
Et le très fameux :
"Quand on fera danser les couillons, tu seras pas à l'orchestre."
Au-delà de la qualité précise de ces dialogues, absolument magnifiques et tissés du fil d'or de répliques cultes, Marius s'impose dans l'histoire cinématographique française comme le film qui va lancer la mode des dialoguistes à la française. Audiard (père et fils), Aurenche et Bosc, tous sont des enfants de Pagnol.


"A Marseille, y a rien d'aussi pénible que le travail."
Marius, c'est aussi un cadre et un folklore.
Le film se déroule dans un lieu finalement assez resserré et nous présente une vision fantasmée de Marseille. Le Vieux Port forcément propice aux rêves, où l'on s'interpelle d'un bout à l'autre. Les siestes de César.L'accent. Une certaine gouaille, une façon de parler haut, un caractère latin qui s'emporte facilement (voir la dispute entre Marius et Panisse, sublime combat de coqs).


Mais n'oublions pas que le filme est beaucoup plus profond que cela.
Derrière son apparente légèreté, Marius est un mélodrame d'autant plus efficace qu'il n'en fait pas des tonnes et qu'il ne tombe pas dans les pièges habituels du mélo.
Il faut voir Panisse parler de sa femme morte, avec ce mélange inouï d'humour et d'émotions.
Il faut entendre Fanny tenter de convaincre Marius de partir et sacrifier sa vie pour lui.
Il faut voir ce final splendide où César imagine un bonheur conjugal futur que Fanny sait ne pas avoir lieu.
Et il faut voir le regard exalté de Marius quand il parle de la marine et des Iles-Sous-le-Vent.
Marius nous présente finalement le triangle amoureux habituels. Sauf qu'ici, le fiancé n'est pas tiraillé entre deux femmes, mais entre deux vocations, entre deux formes de vie radicalement opposées : être mari ou être marin.
Les moments les plus émouvants sont ceux où le film échappe au pathos. Les personnages, surtout le père et le fils, sont tous deux d'une grande pudeur, qui les invite à tourner autour du pot sans jamais rien dire que ce qu'ils pensent vraiment. Qu'y a-t-il de plus émouvant que ce "Bonsoir mon fils" prononcé avec un amour sincère par un vieux bourru haut en couleurs, et que le regard du fils qui n'ose pas répondre qu'il va partir.
C'est pratiquement là qu'on atteint le paradoxe de Marius : dans ce film aux dialogues très travaillés, l'essentiel se trouve souvent dans les non-dits. L'émotion naît de ce que l'on retient, de ce que la pudeur n'ose pas affirmer, de ce que l'on masque.


Est-ce la peine de rappeler les incroyables qualités du film ?
Les acteurs sont, bien entendu, absolument prodigieux. Et, si on sent bien que Pierre Fresnay et Orane Demazis sont aussi marseillais que moi, si on voit bien tout le caractère artificiel, fabriqué, de ce décor, de ce folklore, on est transportés immédiatement dans ce monde où on voudrait rester indéfiniment.
La réalisation, du cinéaste britannique d'origine hongroise Alexander Korda, est sublime. Totalement en accord avec le scénario, elle évite d'en faire trop dans le pathos, elle se fait discrète, mais elle est quand me^me très travaillée. Il suffit de voir la scène quasiment impressionniste où Marius retrouve des marins dans une taverne inquiétante, avec les ombres projetées au murs et l'atmosphère quasi-surnaturelle, pour comprendre de façon éclatante que le bonhomme maîtrise son film.
Et Marius reste un des monuments du cinéma français, une œuvre prodigieuse qui a su garder intacte sa force d'émotion (rien qu'en pensant à certaines scènes, j'ai la larme qui arrive, là, vous voyez, dans l’œil droit, au coin...)

SanFelice
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le 24 mai 2015

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