Mars et Avril est un film canadien, québecois plus précisément, tourné à Montréal en langue française. Il s'agit de la première réalisation de Martin Villeneuve, ancien directeur artistique dans le domaine de la publicité, qui a acquis une certaine renommée pour les campagnes de vidéos qu'il a réalisées pour le Cirque du Soleil. La plupart d'entre-vous connaît certainement mieux son frère Denis Villeneuve, qui a obtenu un grand succès ces dernières années, après avoir réalisé Incendies en 2010, puis Prisonners et Enemy en 2013, et enfin Sicario en 2015. Martin Villeneuve a également écrit plusieurs romans graphiques et Mars et Avril est à l'origine l'un d'entre-eux, deux romans pour être précis: Mars et Avril (2002) et Mars et Avril: In Pursuit of Fantasy (2006), où les panneaux de bandes dessinées ont été tirés comme des images photographiques (beaucoup des modèles utilisés dans ces romans jouent d'ailleurs les mêmes rôles dans le film). Les romans graphiques et le Québec c'est une grande histoire d'amour, on se souvient par exemple du réalisateur québécois Robert Lepage, qui a réalisé des films tels que Le Confessionnal (1994), Le Polygraphe (1996), Possible Worlds (2000) et The Far Side of the Moon (2003). C'est tout naturellement qu'il a accepté de participer à cette première réalisation de Martin Villeneuve, en jouant un rôle assez étonnant d'homme-hologramme (un choix qui s'explique par le fait que Lepage n'était pas disponible lors du tournage et ses scènes devaient être tournées ailleurs et numériquement insérées).


Bon, rentrons dans le vif du sujet. On est immédiatement impressionné par Mars et Avril, dès sa scène d'ouverture qui emploie des effets visuels éblouissants pour procéder à un tour du système solaire en donnant l'illustration de la notion de Johannes Kepler: La Musique des Sphères. Un film qui cite un astronome du 17ème siècle pour créer une métaphore complexe se place sans contestation au-dessus du reste de la production de science-fiction, la grande force qu'on remarque immédiatement c'est sa capacité à démontrer qu'il est effectivement capable de conter son histoire plutôt que de recycler d'autres films. On enchaîne ensuite dans une vision de l'avenir. Martin Villeneuve a crée ici, avec l'aide du dessinateur de bande dessinée belge François Schuiten, un monde d'une éblouissante et inhabituelle beauté, une vraie architecture futuriste, des costumes et des paysages urbains, avec une touche bizarrement orientale, ce qui donne un côté rétro très plaisant à cet univers. On a droit à certains plans d'effets visuels à couper le souffle, notamment des plans de Mars, ainsi que de l'espace où un vaisseau spatial transite.


On est presque plongé dans un monde de S-F steampunk, à ceci près que l'univers est très romancé, ce choix de direction est soutenu par une bande-son assez formidable, c'est un délice pour les sens. Visuellement étonnant, mélodramatique dans sa narration, le film n'a pas peur de plonger dans des réflexions philosophiques profondes, évidemment c'est un risque, car beaucoup de films tomberaient vite dans la branlette intellectuelle, mais pas ici, les réflexions sont judicieusement dosées avec le côté plus terre-à-terre, et il y a tout de même une mise en scène assez spectaculaire derrière tout ça. C'est un film qui devrait être vu sur grand écran, mais pour saisir la beauté des images principalement, ce n'est en aucun cas un simple divertissement, dans le sens où il fait réfléchir, et demande au spectateur d'étirer son imagination plus que d'habitude.


Petit résumé du synopsis:
Situé dans un Montréal futuriste, le film raconte l'histoire de Jacob, un vieux musicien qui joue des instruments conçus par Arthur, qui utilise des modèles féminins nus comme des modèles pour les formes des instruments. Jacob joue régulièrement dans un club sous l'eau, et est adoré par les femmes, jeunes et vieilles. Un jour arrive Avril, une photographe qui veut immortaliser ses monologues; elle veut inclure à la fois Arthur et Jacob dans son projet, et il ne faut pas longtemps avant qu'un triangle amoureux se développe entre les trois. Le tout sur fond d'exploration spatiale, notamment du premier voyage habité vers Mars…


Si vous avez vu la bande-annonce, vous avez déjà une idée de l'aspect merveilleux du film. Il combine sans effort l'étranger et le familier, mêlant l'avenir avec le passé d'une manière crédible et tout sauf choquante. Il est trop souvent facile pour le public de se laisser distraire par les subtilités de réglage des films futuristes, mais heureusement ici, tout se mélange avec l'atmosphère du film. En effet, l'un des points intéressants, c'est la façon dont l'histoire peut être mise de côté. Il s'agit, après tout, d'un triangle amoureux assez standard, et à la fin il devient secondaire à plus d'un degré, étant moins important que les questions fondamentales que nous pose le film, à savoir, la façon dont nous nous voyons, comment nous sommes perçus, quelle est notre place dans l'univers. Mais c'est peut-être à travers de simples histoires d'amour que ces questions sont le mieux posées.


Malgré la grandeur de sa direction artistique (ou peut-être à cause de cela), ce n'est pas du tout un blockbuster de science-fiction. Son mode de narration est beaucoup plus proche d'un film d'auteur européen. Bien qu'il ne soit pas lent, il ne faut pas s'attendre à un film à rythme soutenu. Villeneuve donne le temps à ses personnages de s'exprimer, et nous donne le temps de respirer dans l'histoire de ce monde sombre et riche. Ainsi, on va suivre Jacob, qui tombe amoureux pour la première fois à l'âge de 70 ans, Arthur, piégé dans la jalousie en tentant de maintenir son identité distincte de celle de son père, et Avril, prise entre deux hommes très différents, dans ce film, pas un mot de dialogue n'est de trop, et aucun cadre n'est trop exposé. Cela ne veut pas dire que le film est minimaliste; loin de là. La richesse de la direction artistique s'étend jusqu'au script, et on a même droit à quelques moments très drôles qui s'ajoutent à cette richesse.


C'est un film qui est très conscient des deux sens dans lequel il s'engage, et du juste milieu qu'il doit trouver, le visuel et le son sont ici parfaitement intégrés, ce qui donne un mélange jouissif de tristesse et de joie. Les images et les sons reflètent parfaitement la grandeur de l'histoire, tout en nous permettant de ne pas nous perdre dans les moments les plus intimes.


Ce film aurait dû recevoir beaucoup plus d'attention qu'il n'en a reçu, autant au Canada que dans le reste du monde, si vous aimez la science-fiction, si vous aimez les films intelligents et posés, beaux et profonds, alors jetez-vous dessus, il est fait pour vous.

Schwitz
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le 28 oct. 2016

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