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Martyrs, meilleur film de son genre réalisé à ce jour, et mis au monde par un réalisateur français, restera l’une des plus puissantes révélations cinématographiques auxquelles j’ai été confrontée. Deux thèmes principaux, et pas des moindres : la conspiration et la déréliction de l’être, aussi bien physique que psychique. Le film lui-même, dans la forme qui lui a été impartie, est extrêmement difficile à regarder, car il comprend nombre de scènes d’une violence à faire grincer des dents le spectateur le plus averti. Mais contrairement à une immense majorité des films du même genre, la forme est ici réellement mise au service du fond, et si la première partie traite d’une vendetta relativement triviale (ambiance hallucinations coupables et fusil à pompe), la seconde aborde non sans témérité les thèmes métaphysiques de
(1) la frontière ténue qui sépare la vie de la mort,
(2) ce dont sont capables les hommes effrayés pour oblitérer leurs peurs,
(3) et l’abandon de soi dans la souffrance, la souffrance jusqu'à la désincarnation.
La souffrance féminine, en fait, ou plutôt cette forme de souffrance génésique propre à la femme (sujet que Laugier affectionne! Au même titre que la sororité et le sacrifice de soi sur l’autel de cette dernière, qu’on retrouve également ici dans le personnage de Anna).
En prime, vous verrez un Xavier Dolan adolescent se faire éliminer après 3 minutes d'apparition à l'écran: c'est cadeau.
Il y a quelque chose de vrai, de brut, d’essentiel à la source de ce film ; quelque chose qui s’inspire des figures dépeintes dans les textes sacrés, qui est commun à toutes les religions et qui est même le noyau dur de toute forme de mysticité.
Un groupuscule de nantis, de scientifiques, d’illuminés mené par une poignée de nobles vieillissants qui sentent leur courage fléchir à l’approche de la sentence finale conduit des expériences d’une cruauté sans précédent sur des sujets non-consentants et triés sur le volet. Les cobayes sont des orphelins, des êtres isolés qui charrient déjà bien plus que leur lot de souffrance. Les candidats parfaits sont seuls, ils ne manquent à personne, et sont soumis à des sévices censés les endurcir, en faire des êtres plus résistants, plus endurants vis-à-vis de la douleur psychique et physique. La plupart sombrent dans la folie, ce sont des victimes ; les martyrs, en revanche, sont des êtres d’exception.
Les martyrs supportent la déréliction du corps jusqu’à ses confins les plus extrêmes sans que cela entame leur lucidité, et se font les témoins conscients de la transition entre la vie et la mort. Ils accueillent et endurent la géhenne jusqu’à atteindre un niveau de conscience supérieur, extatique et éphémère, funambule à la bordure des mondes. Transcendés, suspendus entre la vie et la mort, ils voient et témoignent.
Ce film, au-delà des images brutales qui le constituent, du jeu irréprochable des deux actrices principales et du panache solennel et incisif de ses dialogues (monologues, plutôt), est une œuvre philosophique. Il utilise avec justesse les angoisses profondes qui sommeillent dans les tréfonds de l’âme humaine – la solitude, le dernier souffle avant l’irréversible, le pas qui entraine la chute, la peur irrationnelle de l’inconnu – et nous livre un cauchemar éveillé, moderne mais enraciné dans des concepts mystiques intemporels.
ET CETTE FIN